Analyse
géopolitique
: la question touarègue
Les Touaregs et leur territoire
Les Touaregs constituent une branche du vaste ensemble berbérophone
qui peuple une large partie de l'Afrique du Nord-Ouest (Maghreb, Sahara
et Sahel). Leur nombre est estimé entre un million et un million
et demi. Ils sont localisés dans le Sahara central et les confins
sahéliens adjacents. Leur zone de peuplement traditionnelle
s'étend sur près de 2,5 millions de km2, l'équivalent
de l'Europe occidentale. Ils se répartissent de façon
très inégale entre cinq États. 20'000 au nord
du Burkina Faso, 30'000 en Libye, plus de 50'000 en Algérie,
plus de 500'000 au Mali et plus de 700'000 au Niger. Les quatre cinquième
des populations touarègues se concentre dans la partie septentrionales
de ces deux derniers États (le massif de l'Aïr, l'Azaouak
et le désert du Ténéré au Niger, l'Adrar
des Ifôhgas et l'erg de l'Azaouâd au Mali). Le reste se
trouve surtout dans le Tassili n'Ajjer et le Hoggar en Algérie.
Le peuple touareg représente moins d'un dixième de la
population du Niger et du Mali (pour chacun de ces États :
un peu moins de 11 millions d'habitants pour environ 1'250'000 km2).
Mis à part la présence d'oasis, la majeure partie du
Sahara central est formée de vastes étendues plus ou
moins plates (les regs) qui sont couvertes de cailloux. Les ensembles
dunaires (les ergs), en dépit de leur célébrité photogénique,
occupent des surfaces moindres.
Le Sahara n'a jamais été une barrière entre le
nord et le sud de l'Afrique, mais a toujours été parcouru
par des caravanes chamelières. Cependant, les troupeaux, même
de dromadaires, ne peuvent pas vivre en permanence dans le vrai désert,
en raison de la rareté de la végétation. Aujourd'hui,
les caravanes chamelières sont de plus en plus remplacées
par le transport en camions.
Le Sahara central a peu de centres urbains : Ghât en Libye, Tamanrasset
en Algérie, Kidal au Mali et Agadez au Niger. Cette dernière
est la cité la plus importante de toutes avec ses 35'000 habitants
suivie de près par sa voisine Arlit, la cité de l'uranium
(30'000 habitants). Les pasteurs nomades et leurs troupeaux se trouvent
surtout dans les steppes à la périphérie du désert,
au nord et au sud du Sahara. Aujourd'hui, ce sont essentiellement des
sédentaires qui forment la population du désert.
La société touarègue
L'espace touareg est le théâtre depuis le début
de la décennie 90 d'une lutte armée opposant une minorité d'activistes
aux autorités de Niamey (Niger) et de Bamako (Mali). Ces dernières,
soucieuses de préserver leur intégrité territoriale,
souhaitent assimiler leurs concitoyens d'origine touarègue au
sein de leur communauté nationale, quitte pour cela à les
acculturer et à modifier profondément leurs modes de
vie.
Répartis sur d'immenses territoires, les Touaregs n'en ont pas
moins conservé un fort sentiment d'appartenance communautaire.
Celui-ci repose en tout premier lieu sur la langue, le tamasheq, écrite
dans un alphabet particulier, le tifinagh. L'autre facteur d'unité est
incarné par l'islam. Il est pratiqué par les Touaregs
de manière très tempérée et accorde une
large place aux femmes au sein d'une société qui, par
ailleurs, pratique la monogamie et la filiation matrilinéaire.
Mais l'unité découlant de la langue et de la religion
ne doit pas occulter l'existence d'une multitude de segmentations tribale,
sociale et ethnique, donnant à la société touarègue
un aspect fortement hiérarchisé et composite.
Les Touaregs sont organisés en huit entités politiques
que l'administration coloniale française baptisa "confédérations",
terme toujours utilisé. Constituée d'un ensemble de tribus,
chaque confédération est identifiée par le nom
du territoire dont elle a le contrôle et dans lequel les populations
nomadisent. Ces confédérations sont loin de présenter
un front uni. Alors que certains chercheurs privilégient la
thèse de l'unité du monde touareg, les autres constatent,
au contraire, son morcellement en ensembles concurrents. Les matériaux
historiques disponibles montrent en effet que la rivalité est
une donnée fondamentale des relations entre confédérations.
Au sein des tribus (avant les récents bouleversements induits
par la colonisation, la modernité et la sédentarisation
forcée), chaque individu occupe un rang social précis
: nobles, lettrés, hommes libres et vassaux, artisans, esclaves
libérées, esclaves. A cela s'ajoute une dimension ethnique,
en raison de l'existence de Touaregs à la peau « blanche »,
aux statuts sociaux élevés, et de Touaregs à la
peau noire, descendants d'esclaves.
A ces différenciations traditionnelles s'est superposée
depuis le début des années 60 l'appartenance nationale,
laquelle conditionne de manière très variable le vécu
quotidien des populations réparties entre les cinq États
issus de la décolonisation. Ce fait national, longtemps considéré comme
plaqué artificiellement sur des populations nomades habituées à se
jouer des frontières, a empêché que se constitue
un mouvement touareg unifié.
Cependant, l'enracinement tribal et régional constitue l'élément
prépondérant de chaque mouvement. De ce fait, la scène
insurrectionnelle touarègue n'a cessé de s'émietter à la
suite de querelles fratricides : quatre mouvements défendent
la cause touarègue au Mali (regroupés à l'origine
en 1992 au sein des MFUA : Mouvements et Fronts unifiés de l'Azaouâd),
tandis qu'au Niger, la rébellion a connu des scissions à répétition,
passant d'un mouvement unique en 1991 (FLAA : Front de libération
de l'Aïr et de l'Azaouak) à huit mouvements distincts
en 1996.
Le choc de la colonisation française
L'image des Touaregs est aujourd'hui encore très largement tributaire
de l'héritage colonial français (à l'exception
des Touaregs de Libye, anciennement sous domination italienne). Les « homme
libres », comme ils s'appellent eux-mêmes, sont perçus
de façon contradictoire : fiers, rebelles, chevaleresques et,
en même temps, pillards et esclavagistes. Ils sont réputés
pour être réfractaires à toute tentative extérieure
de mise en ordre, politique et économique. Célèbres
pour leurs rezzous (pluriel de razzia) contre les populations sédentaires
qu'ils pillaient, voire soumettaient à l'esclavage, avant de
les assimiler culturellement, les Touaregs ne répugnaient guère à s'entredéchirer,
la lutte pour assurer la survie de la communauté dans un milieu
aux ressources rares primant sur la solidarité entre tribus.
Ce mode de vie des « seigneurs du désert », aux
aspects parfois choquants, a été complètement
remis en cause à la suite d'une série de chocs qui se
sont succédés depuis la fin du XIXe siècle.
La conquête française et, dans une moindre mesure, italienne
de l'espace saharien, a entraîné une première altération
du fonctionnement de la société touarègue. Les
tentatives de résistance à l'ordre colonial (1916-17)
ont été écrasées dans le sang, décimant
durablement l'aristocratie guerrière, affaiblissant le poids
des chefferies traditionnelles et rompant le fragile équilibre
des mécanismes sociaux internes. Toutefois, les colonisateurs
français ne cherchèrent pas à remettre en cause
la suprématie traditionnelle des Touaregs vis-à-vis des
ethnies voisines, et éprouvèrent même une réelle
sympathie en faveur des « hommes bleus ».
Une fois les différentes confédérations défaites
et soumises, les Français se contentèrent d'exercer un
contrôle relativement lâche, en s'efforçant de perturber
le moins possible l'organisation sociale touarègue (la volonté de
contrôle des officiers méharistes français se doublait
d'une fascination pour un peuple et un mode de vie en totale harmonie
avec un environnement rude et exigeant, fascination qui n'est pas étrangère,
du reste, à l'attrait touristique qu'offre aujourd'hui le Sahara).
Mais la colonisation va inexorablement faire son oeuvre : affaiblissement
des grandes confédérations, relâchement des réseaux
communautaires, fragilisation de l'économie pastorale par le
jeu des contraintes administratives, déclin régulier
du trafic caravanier.
Le choc des indépendances
La décolonisation intervenue au début des années
60 se traduit, pour les Touaregs du Niger et du Mali, par l'inversion
des rapports dominants/dominés puisque, dans ces deux pays,
le contrôle des appareils d'État revient à des
ethnies négro-africaines sédentaires. Les anciens « razziés » vont
pouvoir assouvir une vengeance historique à l'encontre de leurs « razzieurs ».
Autrement dit, la mise à l'écart des Touaregs constitue
une sorte une revanche des anciens esclaves noirs contre leurs maîtres.
Cet antagonisme historique (conflits entre populations nomades et
sédentaires)
ajouté à la logique centralisatrice des nouveaux États
souverains va avoir pour effet d'écarteler et de marginaliser
les Touaregs. Cette nouvelle situation va les forcer à s'inscrire
dans des cadres frontaliers "nationaux", totalement étrangers à leur
vision du monde et de l'espace. Dans cette perspective, les Touaregs,
nomades, à l'écart des activités économiques
et peu respectueux des contraintes administratives, sont perçus
négativement, car difficilement contrôlables.
S'estimant marginalisés à la fois politiquement et économiquement,
les Touaregs refusent de devenir des citoyens de seconde zone et esquissent
un début de lutte armée contre leurs nouveaux maîtres
dès les années 1961-63 au Niger et au Mali, tentatives
rapidement résorbées.
Comme les élites qui héritent des commandes de l'État
postcolonial sont issues des populations sédentaires, leur projet
de société exclut d'emblée les préoccupations
des nomades. Ainsi, les décisions politiques et économiques
sont prise dans le sud, loin des zones de peuplement touarègues.
Par conséquent, les Touaregs sont, à quelques exceptions
près, exclus du partage du pouvoir.
En raison du fractionnement de l'espace saharien, l'économie
traditionnelle touarègue va survivre très difficilement à l'instauration
de frontières de plus en plus étanches et à la
mise en place d'administrations nationales (douane, fisc, police),
largement dominées par les ethnies sudistes négro-africaines,
qui ne vont avoir de cesse de contrarier les déplacements transfrontaliers.
Les zones touarègues vont alors être prises entre deux
maux : soit elles seront marginalisées (le pouvoir central n'engagera
aucun projet de développement en faveur des populations qui
sont laissées à l'abandon et à la misère
: attitude adoptée par les autorités nigériennes
jusqu'au grave incident de Tchin Tabaraden en 1990), soit elles seront
soumises à une politique volontariste visant à « nationaliser » les
populations nomades en les sédentarisant par tous les moyens,
y compris les plus coercitifs (cette attitude de discrimination ethnique
se retrouvera plus volontiers au Mali et surtout en Libye et en Algérie).
Dans les deux cas, actions ou inactions gouvernementales vont susciter
frustrations et rancoeurs.
A cela s'ajoute l'attitude de l'ancienne métropole : lorsque
les Français s'installèrent à Arlit en 1971 (à 275
km au nord-ouest de l'oasis d'Agadès au Niger) pour exploiter
un des plus grands gisements d'uranium de la planète, ils n'hésitent
pas à faire « monter » des « Sudistes » pour
extraire le minerai. Les Touaregs en ressentiront une grande amertume
d'autant que les retombées financières seront, pour eux,
dérisoires. Possible source de revenus pour un peuple paupérisé et
déstabilisé par les sécheresses, le partage des
royalties sera au coeur des revendications des mouvements rebelles,
mais la chute récente des cours mondiaux de l'uranium en a fortement
dévalué l'intérêt.
Le choc de la modernité
L'irruption de la modernité dans l'espace saharien va déstabiliser
les modes de vie traditionnels : les camions, accessoire indispensable
du commerce transsaharien moderne, vont entraîner le déclin
irrémédiable des grandes caravanes chamelières
et de l'élevage du dromadaire, les deux piliers de l'économie
touarègue de jadis.
Le choc des sécheresses
Sur la crise économique et un contexte politique défavorable
vont se greffer les effets de la sécheresse dans les décennies
70 et 80. La mémoire collective touarègue conserve le
souvenir de la terrible sécheresse qui affecta l'Aïr en
1913, provoquant famine et désolation. Les effets dramatiques
de celle de 1969-1974 amorcent une prise de conscience en Occident.
La dernière en date se situe dans la période 1981-1985.
Comparable par sa rigueur à celle de 1913, elle consomme la
déchirure du tissu social touareg, provoquant notamment un
exode massif des jeunes.
Une grande partie du cheptel est anéanti, ce qui entraîne
un effondrement irrémédiable de l'économie traditionnelle.
Pour de nombreux éleveurs ruinés, la seule alternative
sera de migrer. Si certains iront s'entasser dans les bidonvilles des
grandes métropoles comme Niamey, Bamako, Dakar ou Lagos, la
plupart préféreront s'exiler vers l'Algérie et
surtout la Libye, attirés par sa prospérité pétrolière
et les discours pansahariens du colonel Kadhafi. Ces exilés
vont former les gros bataillons de la Légion islamique. Cette
formation créée par le colonel Kadhafi à la fin
des années 70 a servi de matrice à de nombreux mouvements
insurrectionnels dans toute la bande sahélienne. Constituée
pour servir d'auxiliaire à l'armée libyenne et de fer
de lance à la politique expansionniste du colonel Kadhafi, cette
Légion a été principalement engagée au
Tchad. Près de 5'000 Touaregs ont combattu à un moment
ou à un autre en son sein. D'autres Touaregs vont rejoindre à la
même période les rangs du Front Polisario qui défend
la cause des Sahraouis du Sahara occidental face à l'État
du Maroc.
Le choc du retour
A la fin des années 80, la fin de la guerre froide et le retournement
de la conjoncture pétrolière (forte baisse des cours)
vont conduire à un ralentissement des conflits tchadien et saharien
et à une dégradation de la situation économiques
et sociale en Algérie et en Libye. Dans ce nouveau contexte,
Alger et Tripoli décident de s'alléger de la présence
des Touaregs, devenue désormais un fardeau. Nombre de Touaregs
sont donc incités, ou forcés, à regagner leurs
zones d'origine au Niger et au Mali. 20'000 personnes rentrent ainsi
avec armes et bagages et vont rompre le fragile équilibre de
ces régions pauvres et marginalisées. Ce retour entraîne
une vague d'agitation et d'insécurité. Un mouvement de
contestation politique à l'encontre des pouvoirs centraux lointains
se développe. Le basculement dans la violence armée s'opère
de manière quasi simultanée au printemps 1990 au Mali
et au Niger : au massacre de Tchin Tabaraden commis le 7 mai 1990 par
l'armée nigérienne contre des Touaregs répond
l'attaque, le 29 juin suivant, de la localité de Ménaka
par des Touaregs maliens. Le cercle vicieux insurrection-répression
est lancé. Les Fronts armés touaregs vont désormais
se multiplier.
La représentativité des mouvements
Outre l'absence d'une idéologie fédératrice, susceptible
de transcender leur lutte, la dizaine de factions armées touarègues
est handicapée par l'absence de chefs charismatiques indiscutables.
Leurs chefs, loin d'incarner l'espoir d'un peuple, apparaissent plutôt
comme de petits entrepreneurs militaires, bien enracinés localement
mais incapables de fédérer au-delà de leur fief
ou de leur tribu. Ce sont pour la plupart d'anciens déserteurs,
des fonctionnaires en rupture de ban ou des étudiants ayant
abandonné leurs études en cours de route. Leurs troupes
sont composées de compagnons d'armes ayant eu le même
parcours qu'eux, mais aussi de jeunes désoeuvrés et d'adultes
ayant perdu leurs troupeaux à la suite des sécheresses à répétition
de la décennie 80.
Ces chefs ont fréquemment acquis leur expérience militaire
dans les rangs du Front Polisario ou au sein de la Légion islamique.
1'200 vétérans de cette légion auraient poursuivi
leurs activités martiales au sein des différents Fronts
touaregs.
Pragmatiques et opportunistes, ces chefs de guerre sont susceptibles
de revirement spectaculaire, à condition que le camp d'en face
soit capable d'y mettre le prix. Leur légitimité au sein
de la communauté touarègue est ainsi sujette à caution.
D'autant que seule une fraction minoritaire des Touaregs est favorable à la
lutte armée. Nombreux sont ceux qui estiment pouvoir obtenir
satisfaction de leurs revendications autrement qu'en empruntant la
voie des armes. Ils pensent arriver à leur fin en combinant
résistance passive à l'encontre des pouvoirs centraux
et participation au débat démocratique quand cela est
possible (par exemple, deux partis politiques à recrutement
fortement touareg sont intégrés au jeu politique nigérien
; de plus, l'État nigérien a toujours compté en
son sein au moins un ministre touareg).
Une guérilla des sables
Dans ce type de conflit, s'étendant sur de vastes étendues
désertiques, la mobilité constitue le facteur primordial
: il faut frapper fort et se retirer rapidement, en esquivant le contact
avec l'ennemi et en refusant toute guerre de positions. Équipés
de véhicules 4 x 4 et d'armes légères en quantité,
les Fronts touaregs ont multiplié depuis 1990 les opérations
de harcèlement contre les symboles et les représentants
des pouvoirs centraux maliens et nigériens.
De telles opérations
ont été la plupart du temps de faible envergure. Il est
rare qu'elles aient mobilisé plus d'une centaine de combattants
simultanément. Le quotidien de ces attaques est fait de raids
surprises contre des localités, brièvement investies,
contre des bâtiments officiels ou contre des infrastructures « stratégiques » (par
exemple, les sites miniers d'Arlit) et d'embuscades contre des convois,
autant civils que militaires. C'est ce qui explique que, bien souvent,
la frontière est des plus ténues entre actions militaires
et actes de banditisme.
En réaction, les armées nationales, mal équipées
et mal préparées à intervenir dans des zones désertiques
et montagneuses, n'ont pu s'empêcher de commettre des exactions
contre les populations civiles suspectées de soutenir les rebelles
(opérations de ratissage, actions de représailles contre
les campements nomades, multiples arrestations).
Le bilan humain
En raison de la non-utilisation d'armes lourdes et de la pauvreté des
moyens militaires déployés par chaque camp, le nombre
des victimes provoquées par ces insurrections est relativement
faible, du moins à l'aune d'autres conflits intraétatiques
africains contemporains (Rwanda, Burundi, Congo, Angola, Soudan, etc.).
Officiellement, le bilan de l'insurrection s'établirait aux
alentours de 150 morts au Niger, entre 1990 et 1995. Mais ce chiffre
est totalement sous-estimé. En additionnant le nombre des victimes
directes des combats, des représailles de l'armée et
des affrontements ethniques, on approche du seuil du millier de mort.
Au Mali, le nombre des victimes est plus important, l'année
1994 y ayant été particulièrement sanglante. Le
nombre d'environ 5'000 victimes pourrait être considéré ici
comme réaliste.
La recherche d'une solution politique
Au Mali, après avoir entamé à partir de novembre
1994 un dialogue prometteur avec les autorités maliennes qui
aboutira a une série d'accords de paix en 1995, les différents
Fronts touaregs cesseront aussi leurs luttes fratricides.
Un ambitieux plan de paix va être élaboré. Il
comprend trois grands chapitres :
1. La réinsertion de 1'500 anciens combattants au sein des corps
en uniforme de la fonction publique (armée, gendarmerie, garde
nationale, police, douane, service des eaux et forêts), tandis
que plus de 9'000 autres pourront bénéficier du Programme
d'appui à la réinsertion des ex-combattants (mis en oeuvre
par le programme des Nations unies pour le développement) et
destiné à leur permettre de se reconvertir dans des projets
socio-économiques de leur choix (dans le secteur de l'agriculture,
de l'élevage, de l'artisanat, du commerce) dans le but de redynamiser
l'économie des régions septentrionales.
2. Le retour des réfugiés ayant fui à l'étranger
au gré des combats (160 à 170'000 personnes) grâce à l'action
du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés).
3. La restauration de la sécurité avec le soutien de
la France : le retrait de l'armée du nord-Mali a été compensé par
le déploiement d'unité « mixtes » (comprenant
d'anciens rebelles).
Le déroulement satisfaisant du plan de paix, ces dernières
années, a été complété par une meilleure
participation de la minorité touarègue à la vie
politique malienne (cette communauté disposait à partir
de 1998 d'un ministre en charge de l'Environnement et de neuf députés).
Le déroulement de la crise touarègue au Niger présente
de grandes similitudes avec celle du Mali. Toutefois, même si
elle a été beaucoup moins meurtrière, elle a plus
de mal à se résoudre en raison d'un mélange ethniques
plus complexe, rendant difficile la délimitation d'un « pays
touareg » ethniquement homogène. De plus, la proximité de
la Libye et les aléas de sa politique n'a pas arrangé les
choses.
Le 9 octobre 1994, l'accord de Ouagadougou affirme le caractère
indivisible du Niger, mettant un terme aux aspirations fédéralistes,
voire indépendantistes, des Touaregs, en contrepartie de quoi
le gouvernement s'est engagé à faire adopter une loi
de décentralisation (répartition des ressources, en particulier
les royalties tirées des mines d'uranium d'Arlit, modalités
de démobilisation des combattants et de leur intégration
au sein de l'administration, amnistie, etc.). Le plan est en cours.
Il prévoit la démobilisation de 8'000 combattants touaregs,
dont près de 6'000 doivent être intégrés
dans le secteur public (armée, gendarmerie, police, douane,
services des eaux et forêts ou stage de formation professionnelle)
et la réinsertion de 20'000 réfugiés. Sur fond
de sédentarisation et d'acculturation plus ou moins forcée,
la mise en application de ce plan progresse lentement.
La France
En tant qu'ancienne puissance coloniale saharienne, la France est
liée
par des accords de défense à Niamey et à Bamako.
De plus, en sa qualité de principal partenaire économique
et premier bailleur de fonds du Mali et du Niger, elle se doit de contribuer à leur
stabilité politique. Le Niger recèle une importance supplémentaire
aux yeux de Paris, puisqu'il possède d'importants gisements
d'uranium (mines d'Arlit), d'où est extraite une bonne partie
du minerai brûlé dans les centrales nucléaires
françaises. Par conséquent, la France a multiplié les
efforts de conciliation, dépêchant régulièrement
diplomates ou émissaires des services secrets pour servir de
médiateurs entre les Fronts rebelles et les autorités
nationales. Avec un relatif succès puisque les crises nigérienne
et malienne se sont apaisées depuis 1995.
L'Algérie
Elle abrite une importante diaspora, forte d'environ 60'000 personnes,
originaires du Niger et surtout du Mali, ayant fui les fortes sécheresses
qu'a connues le Sahel au cours des décennies 70-80. Cette réalité humaine
a incité dès le début des crises touarègues
les autorités d'Alger à suivre avec la plus grande attention
l'évolution de la situation chez ses deux voisins méridionaux,
son but étant d'étendre son influence diplomatique en
direction de Niamey et de Bamako, et d'éviter un risque de contagion
autonomiste touchant sa propre communauté touarègue.
La diplomatie algérienne s'est de ce fait montrée très
active lors de la conclusion des accords de paix autant au Mali qu'au
Niger.
La Libye
La Libye a accueilli à bras ouverts au cours des décennies
70-80 une importante diaspora touarègue nigérienne et
malienne, fuyant la sécheresse et la paupérisation. Le
colonel Kadhafi aimait alors à se présenter comme le
protecteur naturel des Touaregs et soutenait activement la création
d'un grand État saharien. Il a contribué à la
formation militaire de la plupart des cadres des Fronts touaregs actuels
en les enrôlant au sein de sa Légion islamique. Mais après
les avoir utilisés pour soutenir ses ambitions territoriales
au Tchad, Kadhafi s'est assez brutalement débarrassé d'eux,
au tournant des années 80-90, en les incitant plus que fortement à regagner
leur pays d'origine. Ce brusque revirement s'explique par les difficultés
politiques et économiques auxquelles a été confrontée
la Libye à la suite de sa mise au ban des Nations par les pays
occidentaux du fait de son implication dans le terrorisme international.
En lâchant la Légion, Kadhafi donnait ainsi des gages
de modération à la communauté internationale.
Une autre explication à ce lâchage tient au fait que son
pouvoir en Libye est contesté par des rivalités tribales,
et que l'exemple des insurrections touarègues pouvait donner
des idées à certaines tribus. Ceci expliquerait pourquoi
la Libye s'était finalement ouvertement engagée aux côtés
de l'État du Niger en lui fournissant des équipements
militaires pour combattre les rébellions touarègues.
Le
texte ci-dessus a été élaboré à partir
des sources suivantes :
- Balencie, Jean-Marc. De La Grange, Arnaud. 1999 : « Mondes
rebelles », Paris : éd. Michalon.
- Lacoste, Yves. 1993 : « Dictionnaire de géopolitique »,
Paris : éd. Flammarion.
- articles dans l'Encyclopaedia Universalis 2000
- Veyrac, Jean Louis : « La lettre ethniste », n°4,
10 mars 2000
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