SAGE-FEMME PARMI LES
FEMMES EN PAYS TOUAREG
voir
site : http://saharadecouv.ifrance.com/saharadecouv/temoignphoto13.html
A 1300km au Nord Est de Niamey, capitale du
Niger; en bordure du Ténéré, nous pénétrons
dans le massif de l'Aïr en pays touareg cinq ans après
les accords de paix ayant mis fin à la rébellion.
MDM mène une action de développement et de soutien
du processus de paix dans la zone depuis un an et demie et pour
une durée de 3 ans. Elle porte principalement sur un appui à la
population rurale par une extension de la couverture sanitaire
et une amélioration de l'offre de soins : formation de
matrones, supervision des infirmiers des dispensaires de brousse,
sensibilisation de la population lors de consultations nourrissons
(dépistage malnutrition et vaccination) ; consultations
de femmes enceintes en "stratégie avancée" ,
c'est-à-dire dans les campements éloignés
de plus de 15 km des dispensaires.
Nous sommes partis depuis une semaine et
sommes à 260
km de la "base". J'accompagne cette fois-ci notre équipe
locale. Le but de notre mission terrain : la stratégie
avancée. Le dispensaire le plus proche est à 40
km ... L'équipe est composée d'un chauffeur-guide,
d'un infirmier, d'une animatrice (tous touaregs) et de moi-même.
Nous sommes en autonomie totale pour 11 jours. Chaque jour, nous
nous arrêtons dans un site sélectionné auparavant
pour son nombre important de tentes afin de réaliser nos
activités.
17 heures : après la route de l'après midi, nous
arrivons enfin dans le kori (lit de rivière asséchée)
pour installer notre campement et rencontrer la population. Le
chef de village informé de notre arrivée, s'avance
vers nous et après les salutations d'usage nous promet
d'avertir sa population pour les activités du lendemain.
Une partie du campement s'est déplacée près
des pâturages ; il a beaucoup plu l'été dernier
et les nappes d'eau sont encore facilement accessibles, les touaregs
ne se regrouperont vers le puits que dans un mois à la
saison chaude . J'espère tout de même que nous aurons
suffisamment de monde pour nos consultations. 8 heures : après
une nuit étoilée et ponctuée de cris de
chacals, à peine sortie de mon sac de couchage, les femmes
et les enfants nous entourent déjà curieux, mais
silencieux. Ils ont hâte que nous commencions afin de pouvoir
poursuivre leurs travaux (remplir les outres, abreuver les chèvres, ânes
et chameaux, piller le mil). L'infirmier et l'animatrice rassemblent
hommes, femmes, et enfants de 0 à 5 ans ; ils débutent
les consultations nourrissons : pesée et taille pour un
dépistage de la malnutrition . Une fois la trentaine d'enfants
vus, les femmes et les hommes écoutent l'animatrice qui
les sensibilise sur plusieurs thèmes choisis auparavant
(hygiène, diarrhée, contraception). Ils écoutent
attentifs. Elle termine sa sensibilisation en parlant du rôle
de la matrone, ainsi que de l'intérêt de l'appeler
lors des accouchements. Une question essentielle arrive : y a-t-il
des femmes enceintes? Les hommes se lèvent soudain, les
femmes s'observent les unes les autres, silencieuses. La grossesse
est ici tabou. Quelques unes d'entre elles qui sont au courant
par des liens familiaux les désignent du doigt ; beaucoup
baissent la tête, se cachant sous leur voile noir.
Nous installons notre cabine de consultation à l'abri
des regards indiscrets, à ciel ouvert : une natte entourée
d'une bâche portée par des piquets L'animatrice
m'accompagne pour faire la traduction. C'est de toute manière
une affaire de femmes. Sur la natte, toujours silencieuse, la
femme nous donne son identité à mi-mots. - "Meni
issenan? Maneket elanem? Maneket bararen nam?Maneket echouchifan
nam?" (Comment t-appelles tu? Quel âge as tu ? Combien
d'enfants as-tu? Combien as-tu fait de fausses couches?). La
tête baissée, occupant ses mains à tirer
les fils de son pagne, elle ne répond que par onomatopées
ou avec quelques mots à peine perceptibles. Le début
de l'examen est plutôt facile, mais il est quand même
laborieux de la faire monter sur la balance. Nous la mesurons
aussi. Elle me regarde avec interrogation et propose son bras
avec maladresse pour la prise de la tension artérielle.
Je regarde ses bijoux : collier avec perles en plastiques parsemées
de clous de girofle ... parfum d'un jour ... ; boucles d'oreilles
en argent. Selon les campements et les castes (forgerons), elles
seront différemment parées. Du tazolt (khôl)
aux yeux afin de renforcer le regard, mais aussi comme protection
oculaire contre la poussière. Je la fais allonger sur
la natte ; je sens tout à coup une incompréhension
et une peur de sa part : - "Adénia tédis nam" (" je
vais regarder ton ventre"). Ces quelques mots de tamachek
la font sourire et semblent la rassurer, mais elle défait
tout de même ses multiples pagnes avec lenteur et timidité.
Un petit miroir rond en plastique apparaît dans les plis
des pagnes, symbole de féminité. Son ventre est
criblé de vergetures, reflétant les grossesses
multiples, c'est son cinquième enfant, pourtant elle n'a
que 26 ans. - "Bararen ichi frekrek?" ("Est ce
que le bébé bouge ?").
Je palpe son ventre, le mesure, j'écoute l'activité cardiaque
de son foetus avec ma "trompette" : "Tout va bien".
Pas questions d'en faire plus, déjà elle se lève
et s'habille vite. L'animatrice continue de lui promulguer les
conseils alimentaires et lui parle des médicaments à acheter
au dispensaire, contre le paludisme (beaucoup ont déjà eu
un accouchement prématuré avec enfant mort né),
contre l'anémie, et de la vaccination contre le tétanos.
Elle me dit qu'elle a compris et qu'elle ira au dispensaire dès
que possible. Je lui remets un papier de consultation et de prescription
afin que l'infirmier (souvent haoussa et ne parlant pas tamachek)
n'ai pas de problèmes de compréhension si elle
y va sans interprète. Elle me remercie tout en cherchant
du tabac à chiquer dans un bout de pagne qu'elle accompagnera
d'un peu de natron afin de rehausser le goût. La matinée
s'achève sur un thé avec un morceau de fromage
de chèvre ; la population est ravie de notre passage ;
nous repartons avec un panier plein de tomates, en promettant
de revenir dans deux mois afin de poursuivre notre suivi et notre
sensibilisation. Nous sommes invités à partager
leur repas, mais il est déjà tard, il faut remplir
les bidons d'eau au puits, recharger le 4X4 et arriver avant
la nuit au prochain site prévu.
Quelques semaines plus tard je passe pour
une supervision de l'infirmier au dispensaire de la zone traversée lors de
la stratégie avancée. Il me fait part de la venue
des femmes enceintes au dispensaire pour l'achat des traitements
préventifs et la vaccination. - "Tu te rends compte,
elles vous ont écoutés, elles ont fait 40 km à pied
pour venir". Je souris. Nous avons gagné pour cette
fois-ci. Est-ce l'aube d'un nouveau jour?
Texte: Annick GERARDIN, sage-femme mission
Médecins du
Monde Niger
23/03/20000
Etre femme touarègue et devenir matronne en brousse
24 avril 1995, jour de la signature des accords de paix entre
la rébellion touarègue et le gouvernement nigérien.
Fin 1998, MDM s'installe pour trois ans en plein coeur du Massif
de l'Aïr, à l'orée du Sahara nigérien,
afin de mener une action de développement et d'aide sanitaire
en milieu rural. Un des objectifs principaux étant de
réduire la mortalité maternelle et infantile; un
des volets du programme comprend la formation de matrones de
brousse. En effet, les femmes accouchent le plus souvent à même
le sable dans une tente fermée à tout regard ;
les campements peuvent être distants de plus de 40 km des
dispensaires de brousse et ces derniers éloignés
d'une journée de 4X4 de l'hôpital de district.
D'ici à quelques mois, nous prévoyons une nouvelle
session de formations de matrones. Mais il faut dès maintenant
penser à la phase préparatoire, c'est-à-dire
au recensement et à l'identification des futures matrones.
Le nez penché au-dessus d'une carte du massif de l'Aïr,
avec l'équipe locale, nous repérons puits, koris,
( lit de rivière asséchée) afin de situer
les lieux de rassemblement des populations. L'expérience
de nos différents déplacements en brousse (lors
d'activités de consultations et de sensibilisation), ainsi
que la connaissance du terrain de notre équipe locale
complétera le repérage des sites. Il faudra ensuite
se rendre sur place afin de dénombrer les tentes, les
femmes en âge de procréer ; estimer les réels
besoins. Parfois aussi, un chef de village, ayant entendu parler
de notre action, se déplacera jusqu'à notre bureau
pour solliciter un recensement de matrone au sein de son campement.
Il s'agira souvent de populations très motivées
ayant eu des décès néonataux ou maternels
lors d'accouchements "sous la tente". Les tournées
en brousse durent environ 7 à 10 jours, afin de prendre
le temps de rencontrer les chefs de village et la population.
L'animatrice touarègue MDM assurera la traduction. Par
terre sur une natte à l'ombre, un verre de thé à la
main, je présente le projet, j'explique le déroulement
de la formation en ville, le rôle exact de la matrone dans
la prévention ainsi que ses compétences obstétricales
après la session, la nécessité de la payer
pour ses actes afin qu'elle puisse racheter le matériel
de sa caisse et soit bien différenciée de la matrone
traditionnelle. Le représentant du village devra, après
notre passage, réunir sa population afin que les femmes
du campement choisissent l'une d'entre elles selon certains critères
: âge, expérience, fixité, dynamisme, disponibilité,
discrétion, respect du secret médical ( la grossesse étant
un sujet tabou dans le monde touareg) etc ... Il me fera parvenir
dès que possible après la réunion un papier
portant le nom de la future matrone. Souvent l'instituteur, seul
lettré de la zone prêtera sa plume, et les camions
de bois ou de tomates transporteront la missive jusqu'à notre
bureau.
Quelques mois plus tard, vingt noms figurent sur la liste. Il
faut maintenant trouver des voitures qui repartent dans les différentes
zones de brousse afin de prévenir de la date fixée.
Je compte sur le calendrier lunaire le nombre de jours après
la fête religieuse du Mouloud ( naissance du prophète
et jour de la nouvelle lune) : 13 jours : le formation débutera
donc : "marao da karat intellit aoujim". Les courriers
peuvent partir... Pendant ce temps au bureau, tout le monde s'active
pour les achats du "kit" matrone. En effet, celles-ci
repartiront de la formation avec une caisse contenant le matériel
nécessaire pour l'accouchement (bassine, bouilloire, lampe
de poche, lames de rasoirs, produits médicaux, etc...).
La confection d'un cahier pour chaque "élève" nous
prendra beaucoup de temps de découpage et de collage,:
il contiendra des images qui seront la "mémoire obstétricale" de
la formation puisque les matrones sont le plus souvent illettrées.
Le jour J est arrivé, quelques matrones manquent : certainement
des problèmes de transport ou de peur de la ville les
ont retenues au campement. Lors de l'ouverture de la session
des 15 jours, je les trouve bien sages, mais je sais qu'elles
ne tarderont pas à délier leur langue ... L'équipe
de formateurs est composée d'une sage-femme du district
( d'origine haoussa, ne parlant pas le tamachek), d'un infirmier
et d'une animatrice MDM - tous deux touaregs - et de moi-même.
Equipe avec laquelle quelques jours auparavant, nous avons préparé la
formation avec la définition des rôles de chacun.
- "Sosomat!" (Silence!). La timidité des premiers
jours est maintenant remplacée par une cacophonie en tamachek.
Nous divisons le groupe en deux : l'infirmier se chargera de
l'un des sous-groupes afin d'assister "les élèves" dans
les différents services de l'hôpital public du district
(à ethnie majoritaire haoussa) afin qu'elles puissent
se familiariser avec les consultations ( femmes enceintes, nourrissons,
vaccination, nutrition). Il les encadrera et se chargera de la
traduction haoussa - tamachek chaque matinée avec rotation
du groupe. Avec l'animatrice et la sage-femme du district, nous
nous occuperons du reste des matrones. Dans la cour de l'hôpital,
non loin des chèvres, nous sommes installées sur
des nattes à l'ombre. La matinée sera occupée
par des jeux de rôle sur la consultation obstétricale
: l'interrogatoire, l'examen clinique, ainsi que l'accouchement,
les soins de cordon qui seront effectués sur des poupées
de chiffon.
C'est au tour de Magou pour la consultation. "Lyouwen",..."Sram",..."Tegodem"...
La matrone dit les salutations d'usage en mimant son arrivée sous la
tente où Aminata simulant des contractions jouera le rôle de la
femme enceinte.- "Alrelrass". "Mon mari est absent, il est parti
tout le mois vendre de la paille et du charbon ; j'ai du monter sur l'arbre
afin d'enlever des branches pour les chamelles ; je suis tombée ; maintenant
je boite et j'ai des contractions !..." - "Maneket tillilanem id
bijim" (A combien de mois de grossesse es-tu?) - "Issa" ( sept)
. Magou me regarde soudain avec interrogation : - "Koriot"; " ananara" ?
( boiterie, contractions?), "likita" (elle doit aller au dispensaire).
Elle cherche la confirmation de ses dires dans mon acquiescement et semble
soulagée de sa bonne réponse. Tarhya apprend à se laver
les mains de manière "chirurgicale" sous la surveillance de
l'animatrice ; une autre fait l'examen clinique sur une volontaire : - "Telawit
n'eraf ?"; "ténédé ?" (maux de tête?,
fièvre?). Les matrones sont concentrées dans leur jeux de rôle
et ont beaucoup d'imagination et d'humour dans la création des situations
obstétricales. Quant à la pratique, souvent maladroites au départ,
elles apprennent vite à effectuer les gestes nécessaires sous
les regards et les fous rires critiques de leurs collègues. La matinée
est déjà terminée ; nous leur donnons rendez-vous l'après
midi au lycée pour les cours théoriques ...
15h30, après les heures chaudes, les futures matrones
seront assises ou allongées sur des nattes, il devient
dur de retenir leur attention ; elles n'ont pas l'habitude de
suivre des cours ! Les unes se lèvent, se dirigent vers
le canari (poterie) pour boire, d'autres sortent pour prier … Certaines
chiquent et soulèvent régulièrement le coin
d'une natte afin de cracher leur tabac. Les matrones se sont
parées de leur plus beaux pagnes et s'épient les
unes des autres. Les mains et les pieds sont recouverts de henné afin
de protéger la peau, mais les crevasses aux pieds montrent
bien qu'elles appartiennent au monde de la brousse. L'animatrice
traduit les propos de la sage femme et l'infirmier reprendra
le contenu du cours avec l'aide des "pagivoltes" :
dessins sur tissus (confectionnés par des artistes de
la ville) qui illustreront toute la théorie. Les "élèves" devront
tout retenir visuellement et oralement et parsèmeront
le discours de l'infirmier d'onomatopées et de "walla
raouli !"( " çà c'est bien vrai!").
Des traditions se révéleront : du piment dans le
nez qui provoquera un éternuement afin de mieux décoller
le placenta ; faire tourner une chèvre autour de la tente
lorsque la femme met trop de temps pour accoucher ... Le cours
se terminera par l'annonce des noms des deux matrones qui seront
de garde toute la nuit à l'hôpital du district.
Ainsi elles pourront assister aux accouchements et se perfectionner
dans la pratique. Aussi, l'infirmier et moi-même passerons
le soir quelques heures auprès d'elles afin de les superviser
et de nous assurer de leur intégration au sein de l'équipe
haoussa.
Dernier jour de la formation : au programme
: la remise des cartes de matrones et des caisses. Elles sont
fières et
notent pour celles qui savent écrire leur nom en tifinar
(nom de la langue écrite touarègue) sur le couvercle.
Elles s'échangent leur carte de "matrone de village",
commentant les photos d'identité. Ce sera une des preuves
de la formation et le symbole de reconnaissance au sein du campement
comme "agent de santé de l'état nigérien"...
Certaines m'attireront pour me montrer autour d'un dernier thé leurs
achats : marmites, nattes, mais surtout pagnes et parfum. Elles
ne reviendront pas de sitôt en ville! La prochaine fois,
c'est nous qui nous déplacerons. D'ici trois à quatre
mois, nous partirons pour une tournée de supervisions à la
rencontre de chacune d'entre elles dans leur campement. Du travail
sous la tente en perspective, mais nous prendrons le temps, c'est
promis de nous remémorer autour d'un thé et d'un
morceau de fromage ces instants précieux entre femmes
...
Texte : Annick Gérardin, sage-femme Médecins
du Monde, mission Niger
28/06/2000
|