LES MEHARISTES
Si l'on excepte le régiment des dromadaires créé lors
de la campagne d'Egypte par Bonaparte, le 20 nivôse
An VII (9 janvier 1799), la première utilisation de cet
animal dans l'Armée française semble due à Faidherbe
qui assure par ce moyen ses convois et même le transport
de fantassins, mais sans pour autant mettre sur pied une unité spécialisée.
Il sera imité par les responsables des missions de pénétration
dans l'hinterland africain, Monteil (1892), Lamy, Joalland
et Meynier (18981899) et par les officiers de l'escadron de
spahis soudanais, comme Laperrine (1897), qui éprouveront
les limites de l'emploi du cheval dans les zones arides comme animaux
de bât et même comme montures.
C'est toutefois au Sahara septentrional, à El Goléa,
que sera créé le premier peloton méhariste,
en 1891; ce fut un échec. Le 5 décembre 1894,
on créa le corps des tirailleurs et spahis sahariens dont
les débuts furent laborieux, les Spahis, montés à cheval,
se révélant plus efficaces. L'Armée coloniale,
au Sud, ne fut guère plus heureuse. En 1897, le commandant
Klobb créa un corps de chameliers; il ne put être
utilisé, les chameaux ayant tous péri. L'année
suivante, le lieutenant Wirth à la tête de quarante-cinq
tirailleurs et d'un « peloton de chameaux » prit en
chasse un razzi maures non loin du lac Faguibine et le défit.
En 1899, un second peloton aux ordres du lieutenant Meynier fut
engagé, à Bamba, contre les dissidents Berabiches.
Ainsi, commençait la grande épopée des méharistes
coloniaux qui pendant près de soixante-dix ans devaient
contribuer à la conquête puis à la pacification
du Sahara méridional, permettant aux populations nomades
et sédentaires de ces immenses régions de connaître
une période de paix exceptionnelle.
D'une manière générale les unités nomades étaient
organisées en groupes d'un ou plusieurs pelotons avec pour
chacun une section de tirailleurs et un goum recruté localement
parmi les Regueibat, les Maures, les Kountas, les Touaregs
et les Toubous. Selon les saisons, les possibilités et les
missions, un échelon pâturage était laissé en
arrière tandis que les pelotons parcouraient leurs zones
de responsabilité en se contentant de ressources incertaines.
Des patrouilles à long rayon d'action étaient détachées
pour couvrir les zones éloignées ou d'accès
difficile. Car, bien entendu, les zones de prédilection
des unités nomades étaient celles où les véhicules
n'accédaient pas ou pénétraient avec de grandes
difficultés (zones montagneuses, ergs principalement).
A la différence des unités méharistes du
Sahara septentrional, qui ne disposaient que d'un recrutement local
et vivaient une partie de l'année dans des postes, souvent
fort éloignés des zones de pâturages, les méharistes
coloniaux nomadisaient en permanence, installant leurs « carrés » en
fonction des mouvements des populations, des ressources et des
zones à surveiller; ils justifiaient pleinement leur appellation
d'unités nomades. N'utilisant aucun matériel,
ces unités rustiques avaient l'avantage d'être peu
coûteuses et constamment disponibles.
Cette existence active et rude exigeait
des hommes entraînés,
ardents, moralement bien armés, peu soucieux de confort,
imaginatifs, curieux de connaître hommes, milieux et choses
et par-dessus tout animés par un idéal bien trempé et
un sens aigu du contact avec des populations peu habituées à la
vie au sein des collectivités territoriales.
En revanche, que de satisfactions chez les
méharistes de
qui les nomades attendaient beaucoup et, tout particulièrement,
la justice, les soins, l'aide multiforme pour mieux tirer parti
de l'espace saharien longtemps interdit à cause de l'insécurité et
aussi pour s'insérer dans les structures d'une société plus
moderne. Les Klobb, Wirth, Meynier, Théveniaut, Cauvin,
Dromard, Bourgès, Plomion, Moll, Betrix, Théral,
Berger, Gouspy, Larroque, Aubinière, Le Cocq, Brosset, Le
Rumeur, Mear, Cayrol, Dio, Kerfanto, Sarrazac, Chapelle, Borricant,
Garbit, Dessert, D'Ornano, Bacquié, Chavériat sont
quelques-uns de ces méharistes qui ont formé tant
de jeunes officiers et sous-officiers qui devaient compter parmi
les plus brillants de l'Arme. Ainsi, ce sont eux qui fourniront
les cadres ardents avec lesquels Leclerc chassera les Italiens
de Koufra et du Fezzan poursuivant ensuite par la chevauchée
que l'on sait. Quelques-uns de leurs faits d'armes sont relatés
dans cet ouvrage.
Une certaine nostalgie teintée d'amertume étreint
ceux qui ont vécu cette vie dans les unités nomades
lorsqu'ils constatent le triste avenir de ces zones défavorisées
: populations déplacées, brimées par une administration
hésitante qui voit d'un mauvais oeil ces nomades sembler échapper à son
contrôle, troupeaux décimés, retour de l'insécurité,
carence des autorités incapables d'aider à mieux
exploiter le milieu saharien. Ce qui est plus grave encore, ils
déplorent la disparition rapide de la civilisation
du désert, conséquence de la transformation des modes
de vie et de la perte d'identité des tribus déracinées
qui avaient su inspirer de si belles pages à Psichari, Saint-Exupéry,
Diégo Brosset, Jean d'Esme, Chapelle...
D'une façon générale les groupes nomades
se composaient d'un échelon lourd constitué d'une
section de tirailleurs sur dromadaires et d'un goum recruté localement
(Regueibats, Maures, Kountas, Touaregs, Toubous) et qui fournit
l'éclairage et les « choufs » et permet d'assurer
les liaisons rapides, les opérations de remonte, et la surveillance
de la zone de paturâge. A la différence des méharistes
d'Afrique du Nord qui ne disposaient par ailleurs que du seul recrutement
local et qui vivaient le plus souvent dans des garnisons parfois
très éloignées des paturâges, les méharistes
coloniaux adoptent la tente et la conservent jusqu'au bout, leur
carré se trouvant toujours situé aussi près
que possible du paturâge. Ainsi vivent-ils au plus près
de leurs hommes, de leurs montures et des populations, si
clairsemées soient-elles, qu'ils ont mission de protéger.
Nous pouvons difficilement nous représenter aujourd'hui
ce que fût la vie de ces grands anciens dont l'ardeur, l'imagination
et la rapidité des réactions n'avaient d'égales
qu'une énergie à toute épreuve et une résistance
physique peu commune. Comment sans cela auraient-ils pu accomplir
leur mission dans un milieu hostile où toute impasse est
suicidaire, face à des guerriers rudes et impitoyables,
d'une frugalité extrême, connaissant admirablement
le désert et dont la seule ressource et la motivation philosophique
consistaient à razzier les troupeaux et les biens et à s'emparer
des populations pour les réduire à l'esclavage ?
Les capitaines Grodemange, Bouteil, Mangin, Le Cocq, qui trouvera
une mort glorieuse en Indochine le 9 mars 1945, Aubinière,
le lieutenant Ferrandi sont quelques-uns de ces méharistes
qui ont formé tant de jeunes officiers et sous-officiers
qui devaient compter parmi les plus brillants de l'Arme. Ce sont
eux principalement qui fourniront au colonel Leclerc les cadres
et l'outil sans lesquels celui-ci n'aurait jamais pu atteindre
Koufra ni libérer Strasbourg.
Quelques-uns de leurs faits d'armes sont
relatés dans
ce livre. Mais quelle nostalgie s'empare de ceux qui ont partagé ou
connu leur vie ardente et dure, lorsqu'ils constatent que notre
repli de ces régions sous prétexte de décolonisation
s'est accompagné d'un retour aux normes du passé ou,
pire, de la perte progressive de leur identité par ces tribus
nomades fières et indépendantes qui étaient
nos amies, qui nous appréciaient et qu'ont aimées
des hommes tel que Psichari, Charles de Foucauld, Mermoz et, plus
proche de nous, Saint-Exupéry ?
Il s’appelle Kadi, vit à Tamanrasset où il
est guide d’une agence de tourisme, il a combattu pour la
France, a même défilé sur les Champs Elysées
avec son chameau le 14 juillet 1958. Aujourd’hui il perçoit
de l’Etat Français une retraite d’environ 1 € par
mois !
Source: www.Histoiredumonde.net
Livre : « Méharistes du Niger » par Marc Carlier
- L’Harmattan.
On peut se procurer cet excellent ouvrage, au meilleur prix
sur le site : www.lepapiercolonial.com