LE REFLET DES BEAUTES AU FOND DES CASSEROLES
Point de vue occidental par Michel Batlle
Je dédie ce texte à Fatima, Mariama, Aïcha, Addiza,
Aminata, Hinda, Atiti, Attamo, Salamatou, Aïchatou, Ramatou,
Hassanatou, Zeinabou...
Les sociétés africaines et en particulier la touarègue
sont des sociétés dites "matriarcales" au
sein desquelles la femme est l'élément central de la
communauté. En fait, elle ne peut exercer cette autorité puisque
qu'elle devient mère très jeune.
A la suite de plusieurs séjours dans la région de l'Aïr,
j'ai pu constater que ces belles paroles sur le pouvoir des femmes
ne reposaient que sur des images stéréotypées,
du moins pour ce qui est de notre époque actuelle de grande
mutation où la femme a perdu sa charge d'héritiaire
de la culture, la privant des éléments qui lui étaient
jadis attribués: transmission de l'écriture et de la
culture en général, préceptes fondamentaux d'hygiène
de vie pour les enfants etc.
Dans la famille traditionnelle règne toujours le respect dû à l'age
et ce n'est pas un mal en regard des sociétés occidentales
au sein desquelles les permissivités sont plus grandes et
virent vers des excés... Personnellement, je préfèrerai
que règne dans la famille, le respect de la différence,
c'est à dire une clairvoyance qui prenne en compte les désirs
et le potentiel de chacun et de chacune. Je n'ai pas la prétention
de remettre en cause les us et coutumes de cultures dont les racines
se perdent dans la nuit des temps mais je dois constater que si la
femme demeure le "pilier" de la structure familiale, elle
en est réduite à n'être que le mortier (la Tendé)
dans lequel elle broie son mil quotidien!
Entre pauvreté, tradition et modernité, il y aurait à trouver
une nouvelle voie, afin que le femme n'en soit plus réduite à n'être
qu'une matrice reproductrice, sorte de poule pondeuse qui, sa vie
durant, besognera dans les taches ménagères... Le minimum
serait qu'il y est égalité de droits entre hommes et
femmes.
Et je m'adresse en particulier aux hommes afin qu'ils réfléchissent
un peu au problème pour lequel ils sont certainement en cause.
Je croyais que l'attitude machiste de l'homme était localisée
dans l'Afrique du Nord et au Moyen-Orient, il n'en est rien car si
la femme nigérienne bénéficie d'une certaine
liberté, elle plonge son regard au fond des casseroles! (bien
que dans certains pays on emprisonnent les femmes derrière
des voiles, ici, elles ont tout de même le recours du divorce...).
Dès sa naissance elle est choyée comme tout enfant
puis vient le temps qui lui est dédié à aller
chercher l'eau, faire la cuisine, s'occuper des petits frères
et soeurs: Fatima balaye la cour! Fatima va au marché! Fatima
fais cuire le riz!... Si Fatima a la chance d'avoir des parents à l'esprit
ouvert, elle ira à l'école et dans ce cas trouvera
une nouvelle respiration extérieure à la pression familiale.
Par la suite, Fatima éprouvera les plaisirs de l'adolescence
avec ses amies: les vètements, les tresses le henné et
les bijoux, la parade dans les mariages et les fêtes où l'on
roucoule sous les oeillades des jeunes hommes qui n'ont d'yeux que
pour leur corps. Puis viendra la rencontre avec l'être aimé,
un plaisir qui ne sera hélas pas de longue durée, un
plaisir parfois très sommaire (beaucoup de femmes m'ont fait
des confidences et si j'étais un de ces valeureux touareg
dont vous vous revendiquez Messieurs, je ne serai pas si fier que ça
en ce qui concerne les jeux de l'amour qui, à ce qu'elles
disent, souffrent d'un réel manque d'invention et de tendresse...
), car mère à 16 ou 18 ans, son regard vacillera à nouveau
au fond des casseroles! Est-ce cela aimer une femme!
La belle image de la jeune-fille gracile qui va au puits la cruche
sur la tête, cache la dure réalité d'un quotidien
tellement répétitif et si peu créatif!
Parfois, allongé sur ma natte, matin ou soir, j'écoute
le bruit sourd du pilon dans le mortier, et je compte: 240 coups
sans arrêt puis 170, encore 190 et encore et encore! Un autre
rythme cardiaque qui bat entre 40 et 80 coups à la minute!
As-t-on jamais fait une étude sur le rythme de ce symbolique
pilon? Il est vrai que la Tendé saura facilement se transformer
en tambour pour d'autres réjouissances, accompagnant les voix
aigües des femmes l'espace d'un soir... mais pour l'instant
il bat régulièrement la mesure!
Pourtant, quand je promène mon regard dans les cours d'Agadez,
de Timia, d'Arlit, d'Iferouane ou sous les tentes en brousse, partout
se trouve une beauté à faire chavirer toutes les Miss
Monde occidentales, qu'elles soient vieilles ou jeunes, elles sont
belles mais, sur le temps, les seuls yeux qui les regardent en permanence
ne sont que les miroirs rayés des fonds des casseroles! Elles
qui avaient suscité tant de désirs, les voila enfumées
aux fourneaux, dépendantes et en quelque sorte esclaves !
Femmes qui avez de l'énergie à revendre et un riche
savoir-faire transmis de mère en fille; changez de stratégie,
pensez à vous! Prenez le pouvoir!...
Mais tout ceci n'est que le constat entre une image et sa réalité;
le combat des femmes africaines pour leurs droits fondamentaux est
depuis longtemps engagé.
Ne dites pas, ayant lu cet article, que le français veut donner
des leçons, loin s'en faut car la France n'est pas le pays
exemplaire des Droits de l'Homme dont on parle; il y a, comme partout,
de la misère, du racisme et des inégalités sociales.
Michel Batlle est un artiste peintre français de renommée
internationale qui depuis deux ans vient régulièrement à Agadez
où il a planté sa tente en résidence secondaire,
il aime notre pays et porte beaucoup d'intérêt aux différentes
cultures de notre région.
Texte publié dans "Aïr Info" N°10
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