Les
femmes au Sahel: un combat de survie 85
Un site à consulter
sur le Sahel: http://www.isnar.cgiar.org/publications/books/sahel/french/intro.htm

La désertification a déjà profondément
changé la vie des populations sahéliennes, pour qui
elle représente un processus irréversible. Les femmes
en sont les victimes principales, comme c’est fréquemment
le cas lorsque les conditions de vie sont précaires: la
désertification complique en effet leur vie puisque leurs
tâches quotidiennes s’en trouvent considérablement
alourdies. Les femmes la perçoivent donc comme un obstacle
particulièrement redoutable et pénible.
Les femmes savent par ailleurs que dans la plupart des cas, il
leur faut affronter la tâche de survivre, seules, sans aide.
Les hommes migrent en nombres toujours croissants vers les villes
et vers les pays du littoral, ce qui a eu pour conséquence
l’affaiblissement du rôle traditionnel du mâle
au sein de la communauté rurale. Le fardeau des femmes s’en
trouve alourdi et elles doivent assumer de plus en plus de responsabilités,
sans pour autant se voir accorder le droit d’exercer une
influence plus grande et de s’affirmer.
En 1988 le Club du Sahel a lancé l’initiative d’une
enquête pour interroger les femmes de six pays sahéliens
sur la façon dont la désertification a affecté leur
vie quotidienne.86 Les résultats de l’enquête
sont très intéressants, pour diverses raisons. Par
exemple ils révèlent qu’aux yeux des femmes
interrogées la désertification entraîne tout
d’abord une augmentation de leur charge de travail domestique,
mais qu’elles sont aussi très préoccupées
par les problèmes du déboisement. Les réponses
cochées ensuite, avec une fréquence égale,
sont celles qui touchent à leur prise de conscience de leur
rôle et de leur valeur et celles concernant leurs efforts
pour s’organiser en groupes. En cinquième et sixième
lieu, il est question de l’exode rural des hommes et, chose
surprenante à première vue, de l’augmentation
du taux de naissances. La pénurie d’eau n’occupe
que la neuvième place, et la famine vient en queue de liste.
Les résultats montrent donc que les femmes comprennent clairement
que la désertification transforme leur contexte existentiel
global et qu’elle dépasse le simple niveau de la détérioration
des conditions physiques. Seul un tiers des femmes a souligné l’importance
des conséquences écologiques; les autres étaient
davantage affectées par les changements socioéconomiques.

1. Une semaine de travail de 100 heures
Le «travail domestique» (aller chercher de l’eau,
ramasser du bois de chauffage, trouver et préparer à manger)
constitue en fait un lourd fardeau d’activités quotidiennes
qui, partout dans les régions rurales d’Afrique, incombe
aux femmes. Elles consacrent énormément de temps
et d’énergie à ces tâches qui ont toujours été ardues,
vues les circonstances difficiles dans les régions semi-arides
longeant le désert - mais qui aujourd’hui sont plus
laborieuses encore. En effet, pour obtenir de l’eau ou du
bois, il faut parcourir un chemin toujours plus long et compter
toujours plus de temps. Et là où il n’y a pas
de tiges de mil, les femmes doivent chercher des substituts, en
se contentant par exemple de feuilles et de fruits dans les régions
pratiquement dénudées d’arbres. «Avant,
on ne se serait jamais baissé pour ça», dit
une vieille femme du Burkina-Faso en ramassant un bâton pas
plus gros qu’un doigt. «Aujourd’hui on estime
que c’est un bon morceau.»
Durant la saison sèche, il se peut qu’on ait à parcourir
jusqu’à 10km pour trouver un puits donnant de l’eau.
Cela représente une marche quotidienne de 20km dans la chaleur
et dans la poussière, uniquement pour remplir les récipients
d’eau. Outre les distances, il faut compter avec de longues
attentes près des puits. Comme déclarait une femme
au Niger: «Nos lieux de prière ne sont plus nos maisons,
mais les points d’eau, puisque c’est là que
nous passons une grande partie de la journée.»
Quittant la maison lorsqu’il fait encore nuit, la femme ne
rentre que l’après-midi et n’a alors accompli
que la seule tâche de puiser l’eau. Il lui faut encore
ramasser du bois, moudre du mil, cuisiner, laver et s’occuper
des enfants. Ainsi, sa journée de travail atteint facilement
les 14heures, ce qui amène la semaine à 100heures.
Et il s’agit là «seulement» du travail
domestique, travail qui, partout dans le monde, passe inaperçu
et n’est pas rémunéré. En effet, la
femme doit accomplir de plus de nombreuses autres tâches,
par exemple dans l’agriculture. La pénurie d’eau
et le manque de matériel combustible - depuis toujours des
facteurs qui alourdissent le fardeau - sont devenus des obstacles
encore plus encombrants. Les activités traditionnelles -
culture des terres, élevage, artisanat et commerce - sont
plus difficiles à accomplir, mais sans pour autant être
moins cruciales pour assurer la survie: au contraire!
La contribution de l’homme au revenu familial va en s’affaiblissant.
La femme doit agrandir son rôle et s’efforcer de produire,
vendre et gagner de l’argent, pour mieux pouvoir subvenir
aux besoins.
De ce fait, les femmes sont aussi directement affectées
par la dégradation des terres. «Avant, ton petit champ
donnait une bonne récolte, même s’il n’avait
pas beaucoup plu. Grâce aux arbres et à l’herbe,
l’eau pouvait être absorbée. Aujourd’hui,
l’eau s’écoule tout de suite et creuse des rigoles:
tu ne récoltes plus rien», affirme la présidente
d’un groupement de femmes du Burkina-Faso.89 La dégradation
des sols entraîne une pénurie de terres encore relativement
fertiles et donc aussi une concurrence accrue, où les hommes
sont généralement privilégiés. Nombreuses
sont donc les plaintes des femmes: elles n’ont pas de terres,
ou pas assez, ou leur lot est trop peu cultivable; elles ont beaucoup
de mal à se procurer des terres depuis que la sécheresse
sévit. «D’abord l’homme prend son champ
[...], après il nous donne ce qui reste».
Presque toujours, ce qui reste, ce sont des terres épuisées,
sur lesquelles peinent des femmes, exténuées elles
aussi. Les arbres, source de nourriture traditionnelle, deviennent
rares; il n’y a rien à récolter, pas même
des ingrédients pour la fabrication de remèdes traditionnels.
Comme l’affirme une paysanne malienne91 : «Les arbres
sont devenus avares». Aux yeux des femmes, les arbres sont
en premier lieu des pourvoyeurs de nourriture; ils sont aussi des
plantes médicinales et, en dernier lieu, ils fournissent
le bois à brûler. Les femmes préparent les
repas sur des feux alimentés de broussailles et d’excréments
d’animaux (qui serviraient mieux en tant qu’engrais
dans les champs): elles se plaignent de l’odeur du fumier
et de son influence désagréable sur le goût
des mets préparés.
La désertification entraîne aussi la raréfaction
des matières premières pour la fabrication de vêtements
et de nattes ainsi que des matériaux de construction: «Avec
la peau d’animaux gras, on peut faire de beaux coussins»,
déclare une vieille femme maure.
En conclusion, si l’on prend en considération la pauvreté de
l’alimentation, le poids de la charge du travail, la fréquence
des naissances et le manque de soins médicaux adéquats,
il n’est pas surprenant que la santé des femmes du
Sahel est si mauvaise que leur état est souvent alarmant.
En termes concrets, cela signifie que, aujourd’hui encore,
la mortalité des mères à la naissance enregistrée
dans la zone du Sahel est entre 100 et 200 fois plus élevée
que celle enregistrée en Suisse, par exemple. Par ailleurs,
les statistiques révèlent que, si le taux d’alphabétisation
et la fréquentation scolaire des populations vivant dans
le Sahel sont bien faibles pour la population globale, les femmes
sont encore plus désavantagée que les hommes
En conclusion, les femmes sont appelées à fournir
des efforts excessifs. Or, dans le Sahel, il est impératif
que l’on veille à économiser les énergies.
L’énergie des femmes étant une ressource des
plus précieuses, il faudrait épargner en tout premier
lieu.

2. L’exode des hommes
Si , dans le cadre du système patriarcal, il arrive qu’il
faille défendre le statut privilégié des hommes,
l’on propose comme justification le fait que l’homme
soit le soutien de la famille. Or, en Afrique, les hommes n’ont
jamais été les seuls à assumer ce rôle,
bien que dans les zones septentrionales influencées par
les moeurs arabes, leur contribution ait certes été plus
importante que dans les régions du sud se rapprochant davantage
des populations et traditions de l’Afrique noire. Au cours
des deux dernières décennies, l’affaiblissement
progressif des troupeaux et la baisse des rendements du mil sous
l’effet de la sécheresse ont entraîné une
diminution de la capacité des hommes à pourvoir aux
besoins de la famille. Le fait que les hommes s’absentent - pendant des périodes
plus ou moins longues - est en soi un phénomène connu
de toutes les sociétés du Sahel, mais les coutumes
varient grandement d’une région à l’autre.
L’influence de ces migrations sur les structures tant économiques
que sociales est profonde. Aux migrations saisonnières traditionnellement
connues s’ajoutent maintenant les départs - pour des
durées imprévisibles - des hommes qui vont chercher
du travail dans les régions et pays du littoral. Leur retour
peut être retardé pour des raison d’«honneur»,
tant qu’ils n’ont pu économiser suffisamment
d’argent ou s’ils ne peuvent rapporter suffisamment
de cadeaux.
Pour les femmes, surtout pour celles des territoires situés
aux abords du Sahara, l’absence des hommes constitue une épreuve
supplémentaire. Déjà accablées par
leurs lourdes tâches régulières, elles se voient
contraintes d’assumer des charges supplémentaires.
Elles doivent cultiver les champs, non seulement pour se nourrir,
mais aussi pour vendre et gagner l’argent dont elles ont
besoin pour payer les impôts, les taxes sur l’eau et
les soins médicaux et pour pouvoir s’acheter certains
produits indispensables tels que le sucre, le sel, le thé,
les allumettes, le savon ou les cahiers d’école. Elles
ne peuvent compter sur l’argent que leur enverront les hommes
de l’étranger.
La situation des femmes restées au pays varie grandement
suivant les diverses ethnies et la division traditionnelle du travail.
Souvent, les plus touchées sont celles qui auparavant faisaient
partie des groupes privilégiés. Voici comment s’exprime
une noble songhaï à ce sujet: «Avant la sécheresse,
une noble comme moi ne savait même pas ce qu’était
un mortier. [...] Aujourd’hui, la femme va au champ, sème
comme un homme et ne récolte rien». Semblablement,
les Maures à la peau claire qui effectuaient rarement de
lourds travaux, se voient actuellement obligées d’assumer
des tâches pour lesquelles elles sont mal préparées
et qu’elles trouvent avilissantes. Les femmes qui sont
déjà habituées à travailler en-dehors
du foyer, semblent mieux pouvoir profiter des possibilités
qu’offrent les formations des agences de l’aide au
développement. Mais il ne faut pas oublier que la femme
n’a droit aux fruits de son travail que tant que son mari
demeure absent: dès qu’il retourne, l’homme
réclame comme son bien tout ce que «son» champ
a produit.

3. Le désintégration des structures familiales
Restées seules au pays à s’occuper des vieux
et des enfants, les femmes se sentent délaissées
et craignent que leur situation familiale est en danger. «Les
animaux sont morts, et les hommes sont partis chercher du travail
[...] nous, nous n’avons pas le choix, nous sommes le seul
soutien de la famille, nous devons nous battre seules», dit
une femme de la région mauritanienne de Tagant .95 Ces femmes
vivent en fait comme si elles étaient veuves, sans avoir
toutefois la possibilité de se refaire une vie avec un nouveau
partenaire. Accablées par leur charge de travail et par
la tutelle des anciens, elles déplorent en outre la «désobéissance» des
enfants qui veulent échapper à leur autorité parentale
et à la pression des obligations traditionnelles: «Aujourd’hui,
il peut arriver que les enfants partent en t’abandonnant.»96
Ces femmes envient aussi les jeunes mariées qui de plus
en plus souvent décident de suivre leur mari et d’émigrer
vers les régions côtières.
L’absence d’hommes ainsi que le montant du prix à payer
pour pouvoir prendre femme ont pour conséquence que de nombreuses
jeunes femmes se retrouvent «vieilles filles» et que
beaucoup tombent enceintes sans être mariées. En effet,
on trouve aujourd’hui des femmes âgées de 25
ans célibataires - ce fut une chose inconcevable dans le
passé et encore aujourd’hui, c’est considéré comme
une chose étrange. Si, de plus, la femme non mariée
a des enfants, elle est condamnée à vivre au ban
de la société.
Comme la date de retour des jeunes hommes partis à l’étranger
et ne revenant que lorsqu’ils auront économisé assez
d’argent pour se marier est difficilement prévisible,
de nombreuses femmes sont données en mariage - en tant que
deuxième ou troisième femme - à des hommes
plus âgés capables de payer une somme modeste. Bien
que la polygamie ait toujours été permise dans la
région sahélienne, elle n’était pas
beaucoup pratiquée. La relance actuelle de cette pratique
est causée par le désir d’épargner aux
jeunes femmes de longues fiançailles et de longues périodes
d’attente.97 Mais souvent, ces unions ne durent pas très
longtemps et de nombreuses jeunes femmes retournent vivre chez
leurs parents, fréquemment accompagnées d’un
ou de plusieurs enfants.
Un phénomène surprenant (surtout aux yeux des occidentaux)
est le fait que la sécheresse entraîne non pas une
stagnation démographique mais une augmentation du nombre
de naissances. Les causes de cette croissance démographique
sont la désintégration des familles, la multiplication
d’unions illégitimes, le raccourcissement de la période
d’allaitement et le mépris de tabous autrefois strictement
respectés après la naissance d’un enfant.
Le phénomène des naissances très rapprochées
provoque des critiques de la part d’un grand nombre de femmes: «Avoir
des enfants sans en avoir les moyens n’apporte que des larmes.»98
Les femmes âgées, auxquelles revient la charge de
garder des enfants, portent souvent un jugement sévère.
Pour elles la fréquence des naissances est un signe de la
dissolution des moeurs dont font preuve les jeunes générations.
Leurs reproches s’adressent surtout aux hommes. «La
femme ne provoque pas l’homme [. . .], mais les hommes s’en
fichent si les femmes et les enfants souffrent.»99 Plus timides,
les jeunes femmes n’osent pas faire des déclarations
aussi hardies, mais elles expriment néanmoins le désir
de ne pas tomber enceintes aussi fréquemment. Même
les sociétés pastorales traditionnelles ont cessé de
considérer les enfants comme une bénédiction
absolue: «Les enfants voient la sécheresse et viennent
plus nombreux, pour faire souffrir les parents [.. .]; il y en
a une quantité, ils sont comme les mouches.»
D’après les témoignages recueillis par Marie
Monimart, les femmes semblent désirer avoir moins d’enfants,
tandis que les hommes voient la confirmation de leur virilité dans
une descendance nombreuse. Le comportement reproductif est toujours
soumis aux priorités masculines - les femmes du Sahel n’ont
pas encore acquis le droit de déterminer quelle sera la
taille de leur famille.
Les enfants trop rapprochés en âge et un travail excessif
sont des causes de l’incapacité des mères d’assumer
leurs responsabilités traditionnelles en matière
d’éducation. Leur surcharge de travail entraîne
non seulement un besoin d’assistance qui empêche leurs
filles d’aller à l’école, mais aussi
un manque de temps et de disponibilité les empêchant
de transmettre à leurs filles les connaissances reçues
des générations antérieures. Le danger existe
donc que les femmes de la génération suivante seront
non seulement analphabètes comme leurs mères, mais
de plus privées des connaissances traditionnelles qui depuis
des siècles ont aidé les femmes à survivre.
Pour les femmes du Sahel, le mariage n’est plus une garantie
de sécurité. Les absences des maris, les divorces
de plus en plus fréquents, les rivalités entre épouses
de statut différent sont autant de facteurs menaçant
la sécurité d’un avenir sans soucis matériels.
Et pourtant, toute femme aspire à se marier et à avoir
des enfants, car son statut dépend de celui de l’homme,
respectivement de sa descendance mâle. Une femme seule ne
compte guère. Ce n’est qu’à travers le
mariage qu’une femme peut espérer atteindre une position
sociale de respect. Toujours est-il que dans des circonstances
de pauvreté extrême, le mariage n’apporte qu’une
surcharge de tâches accablantes, sans que la femme puisse
se rassurer d’être à l’abri des soucis.

4. Nouvelle indépendance
Les résultats de l’enquête du Club du Sahel
(décrits au début du chapitre) ont montré que
- réfléchissant sur les conséquences de la
désertification - les femmes attachent une importance égale
aux nouvelles responsabilités et à l’indépendance
que la désertification leur apporte qu’à que
la disparition des arbres qui en découle aussi. «Aujourd’hui,
on ne peut plus simplement attendre son mari, qui s’en va
sans jamais revenir. C’est pour cette raison que la femme
réagit et réfléchit pour réussir à nourrir
ses enfants et à se tirer d’affaire», explique
une femme mauritanienne.
Spitteler a donné une description impressionnante des femmes
Touareg qui, dans la montagne nigérienne de l’Aïr,
attendent patiemment le retour de leurs hommes nomades, partis à dos
de chameau dans le pays Haoussa, en espèrant que tout s’est
bien passé et qu’ils rentreront avec du mil et des
vêtements102 ; Mais elles n’attendent pas passivement.
Grâce à elles, les enfants et les troupeaux de chèvres
survivront même pendant les périodes de sécheresse.
Les femmes du Sahel ne semblent pas être conscientes de l’importance
des tâches qu’elles accomplissent depuis toujours.
Les nouveaux travaux qui leur sont confiés leur donnent
cependant un sentiment de fierté, de responsabilité et
de confiance en leurs propres capacités. La division du
travail traditionnelle, fondée sur le sexe, a perdu sa validité:
désormais, dans certaines régions, les femmes dirigent
40 % ou plus des unités productives et familiales. Il est
vrai dire que les hommes ont souvent du mal à apprécier
ce renforcement de l’esprit d’initiative et de responsabilité des
femmes ; ils l’accueillent plutôt avec méfiance.
Les domaines potentiels de conflit entre les deux sexes se multiplient.
Les femmes ont formé des associations au niveau du village
qui ont pour but d’assurer la survie de la famille. En effet,
les femmes ne se réunissent jamais pour essayer d’améliorer
leurs conditions de vie, ni pour chercher à satisfaire à leurs
propres besoins. C’est pourtant à ces groupements
de femmes que s’adressent les représentants de programmes
nationaux et internationaux de lutte contre la désertification,
de remise en valeur des terres, et de reboisement. En effet, les
organisations de développement reconnaissent l’intensification
de l’activité des femmes et sont fort intéressées à bénéficier
de cette énergie. Les femmes s’engagent volontiers à participer à des
activités communautaires, n’ayant pas d’autre
solutions pour assurer la survie des enfants et des vieux à leur
charge. À travers ces collaborations, elles deviennent plus
conscientes de leur propre valeur et de leur indépendance;
il faut espérer que cette prise de conscience de leur rôle
tiendra bon.

5. La lutte contre le désert
Dans tous les pays du Sahel, on trouve des programmes qui ont pour
but d’enrayer la désertification. Bon nombre d’entre
eux sont réalisés sous le patronage du Comité permanent
Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le
Sahel (CILSS). Un livre publié par le CILSS présente
21 projets, dont plusieurs se déroulent au niveau du village.
Certaines des études donnent une vive description du rôle
qu’assument les femmes dans la lutte contre la désertification.
Les observations réalisées à partir des projets
corroborent les conclusions trouvées dans beaucoup d’autres
rapports de projets de coopération au développement:
ce sont les femmes qui, faisant preuve d’une grande motivation,
cultivent les champs en suivant les conseils qui ont été donnés
aux hommes. Ce faisant, elles assument une charge de travail supplémentaire
considérable qui en général ne leur apporte
aucun bénéfice direct.
Au Burkina-Faso, par exemple, des femmes qui avaient fourni une
aide considérable en apportant les pierres et l’eau
nécessaires à la construction de billons destinés à protéger
des champs d’homme, n’ont cependant pu compter sur
un appui de la part des hommes lorsqu’elles ont entrepris
d’améliorer leurs champs à elles. Par ailleurs,
on a constaté que la mise en oeuvre de techniques nouvelles était
meilleure dans les cas où les femmes avaient bénéficié d’une
formation égale à celle des hommes. Fières
des résultats, les femmes ne se rendaient peut-être
pas compte qu’elles contribuaient à la remise en état
de champs qu’elles n’auraient pas le droit de cultiver
par la suite.
Le rapport d’un projet exécuté au Niger, en
vue de mettre en place de petits barrages pour bonifier des terres,
fait état de la situation comme suit. Il avait été convenu
qu’une fois préparées à la culture,
les terres seraient distribuées parmi les familles qui avaient
participé à l’effort de construction et de
plantation. Tandis que dans de nombreux cas, ces familles avaient
envoyé les femmes exécuter les travaux, les nouvelles
terres sont devenues la propriété des chefs de famille
(mâles!). Dans quelques cas exceptionnels, des femmes avaient
participé au projet en tant que chefs de foyer, sous leur
propre nom, et elles ont eu droit aux terres elles-mêmes.
Mais la majorité des femmes ont dû se partager un
verger et un champ de légumes à gérer en commun.
Elles se demandent à présent ce qui se passera en
cas de divorce, ne sachant pas si leurs efforts leur ont acquis
des droits ou non.
Dans le cadre de ce même projet, les femmes recevaient aussi
des denrées alimentaires. Cette forme de paiement direct
en nature est un arrangement que les femmes apprécient beaucoup
car il leur permet de bénéficier elles-mêmes
(et leurs enfants) des fruits du travail qu’elles fournissent,
tandis qu’une rémunération en argent est confisquée
par les hommes. Elles peuvent même vendre une partie des
aliments reçus et se procurer ainsi un peu d’argent,
ce qui permet aux hommes de s’absenter pour chercher du travail
en ville. Il faut noter cependant que ce genre de paiement en nature
a un grave inconvénient: il attire aussi des femmes enceintes
ou qui allaitent et des enfants, qui donc effectuent des tâches
lourdes, trop lourdes, en vue d’obtenir quelque chose à manger.
Un programme de plantation d’arbres exécuté dans
une région sénégalaise fortement touchée
par l’émigration des hommes a été couronné de
succès parce que les auteurs du plan ont consulté les
associations de femmes et suivi leur conseil. Ils ont donc opté pour
les arbres médicinaux: c’est ce que leur avaient recommandé les
femmes, même si ce choix n’apportaient aucune amélioration
directe de leurs conditions de vie. Dans de nombreux cas, les
critères de sélection adoptés par les femmes
diffèrent de ceux des hommes. Elles attachent beaucoup plus
d’importance à ce que les arbres peuvent fournir sous
forme d’aliments, de fourrage et de substances médicinales
qu’à la production de bois, qui pour elles vient en
dernier lieu. Elles sont aussi soucieuses d’économiser
et préfèrent utiliser des fourneaux à faible
consommation de bois. Il leur faut en effet acheter au moins une
partie des matériaux combustibles et les hommes - fidèles
aux rapports de force traditionnels - ne leur donnent pas d’argent
pour ce genre d’achat, même s’ils en ont.
En conclusion, si l’on pense à faire participer les
femmes à l’élaboration des plans et à la
planification des étapes des projets auxquels elles fournissent
leurs efforts physiques, les chances de réussite seront
bien meilleures.

6. Les revendications des femmes
La surexploitation des ressources naturelles est un problème
que constatent tous ceux qui étudient le Sahel. Mais il
faut reconnaître que cette constatation est également
valable lorsque l’on parle de la main-d’oeuvre féminine,
ressource humaine de très grande valeur dans la région.
Les auteurs et organisateurs des programmes de développement
et de gestion de l’environnement naturel ont compris que
le succès de leurs efforts dépend directement de
l’intensité de l’engagement des femmes. Ils
veillent donc à attribuer aux femmes des tâches bien
conçues axées sur la réalistion d’objectifs
très précis.
Les femmes sont devenues plus conscientes du rôle qu’elles
jouent et elles veulent prendre en main leur destin. Elles s’organisent à cet
effet et s’efforcent de protéger et de maintenir leur
base existentielle. Il importe de faire participer les femmes du
Sahel à la lutte pour la réalisation du droit humain
un environnement intact- et elles sont tout à fait prêtes à le
faire. Or, en agissant de la sorte, elles risquent de devenir de
simples instruments que les responsables de projets et d’experts
manipulent et exploitent à leurs fins propres, sans tenir
compte des intérêts des femmes et sans ménager
leurs forces. Il faut donc veiller à ce qu’elles ne
s’engagent activement que si elles sont sûres de bénéficier
des droits de l’homme de la deuxième dimension: d’une
sécurité économique leur assurant la survie,
des droits à un revenu, à l’information et à une
bonne santé.
En termes concrets, il faut alléger la charge de travail
des femmes en leur facilitant l’accès aux sources
d’eau et de matériel combustible et en leur fournissant
des fourneaux à faible consommation de bois et même,
dans certaines régions, des cuisinières à gaz
et du gaz. Afin de pouvoir se procurer suffisamment de nourriture,
elles ont besoin de terres et de moulins à blé. Le
travail qu’elles accomplissent au service de la communauté doit être
compensé équitablement, que ce soit en nature ou
en argent. Étant donné qu’un revenu pécuniaire,
même s’il est très modeste, constitue désormais
une condition essentielle de survie, il est impératif que
les femmes puissent aussi gagner un peu d’argent. Elles ont
besoin de connaissances et doivent pouvoir se rencontrer, échanger
des idées et s’organiser. Les mères doivent
avoir suffisamment de temps pour accomplir leurs tâches,
de manière à pouvoir envoyer leurs filles à l’école
et aussi leur transmettre leur savoir traditionnel. Les femmes
ont aussi besoin de temps de récupération - c’est-à-dire
de moments de repos pendant le travail quotidien et au moment de
l’accouchement, ainsit que d’intervalles suffisamment
longs entre les naissances. En effet, elles ont le droit d’avoir
une famille, mais tout autant le droit d’en déterminer
la taille.
Pour que les droits de l’homme soient valables pour les femmes
du Sahel comme pour tout le monde, elles doivent présenter
quelques revendications, qui sont bien modestes en soi. Certaines
de ces revendications ont de bonnes chances d’être
acceptées, mais l’acceptation est probablement motivée
par des soucis d’efficacité plutôt que par le
souci d’équité.108 Or les femmes ont droit à la
satisfaction de leurs besoins essentiels (qui sont également
ceux de leurs enfants) et ce indépendamment de toute préoccupation
intéressée de ceux qui veulent pouvoir profiter au
maximum des contributions qu’elles peuvent apporter.
La reconnaissance du rôle et des droits des femmes signifie
entre autres qu’il faut les faire participer effectivement à l’élaboration
et à la sélection des mesures de lutte contre la
désertification, et non pas seulement les faire approuver
des plans fixés longtemps auparavant, par besoin d’une
légitimation formelle. Il faut surtout que les femmes puissent
obtenir leur part du produit réalisé par leur travail!
Les expériences où l’on s’est efforcé d’impliquer
les femmes dès la phase de planification, ont révélé que
celles-ci voient en effet clairement ce qui constitue l’important
- et que cela diffère bien souvent radicalement de ce qui
s’impose comme étant important aux yeux des étrangers
et des fonctionnaires de la capitale.
Les femmes ont de la difficulté à faire connaître
et respecter leurs revendications dans le contexte d’une
société patriarcale, où l’avenir semble
pouvoir être planifié par la technologie, puis réalisé par
des technocraties, et où la femme n’est définie
que par rapport à l’homme. Mais la terrible sécheresse
a éveillé et libéré en elles des énergies
créatives qui avaient disparu, et elles puisent aux sources
de connaissances des générations précédentes
pour animer le souvenir d’une vie étroitement liée à l’environnement
naturel. En dépit du fait qu’elle entraîne un
alourdissement de la charge de travail, la désertification
ouvre aussi de nouvelles perspectives pour les femmes: les nouvelles
tâches leur font acquérir une plus grande confiance
en leurs capacités et en leur autorité. Si auparavant,
dans les cas les plus favorables, elles ne se voyaient accorder
que les droits de l’homme de la première dimension,
nombreuses sont celles qui aujourd’hui s’organisent
pour revendiquer les droits de la deuxième dimension et
le droit de l’humanité à la protection de l’environnement.
Nombreuses aussi celles qui sont prêtes à contribuer
leurs efforts concrets à la réalisation de ces aspirations.
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