KAOCEN,
HEROS DE LA RESISTANCE TOUAREGUE

Texte de Hélène Claudot-Hawad
«
Touaregs, apprivoiser le désert » Ed. Gallimard « Découvertes »
Passé le temps des premiers explorateurs puis celui des scientifiques,
vient le temps des militaires qui pénètrent le Sahara.
Des expéditions sont lancées sous le commandement de
Flatters qui en 1881 voit sa colonne massacrée en Algérie
par les Touaregs hostiles à la pénétration française.
Vers la fin du XIX eme la France occupe In Salah, Tombouctou et Agadez
en 1906. En ce début de siècle, la société touarègue
est en état de choc, les revers militaires affectent tous
les pôles politiques, du nord au sud et de l’est à l’ouest,
le défaitisme atteignant une partie de l’opinion.
Dès les premiers affrontements avec l’armée coloniale,
une polémique s’est engagée chez les Touaregs
sur la manière d’organiser la résistance. Les
uns veulent lutter dans le respect des valeurs anciennes, d’autres
choisissent l’exil . De ces mouvements d’exode vers le
Kaouar, le Tibesti, le Fezzan, le Tafilalet, le Darfour et le Kanem
naît la résistance. Parmi eux, figure la Senoussiya,
confrérie musulmane dont l’influence grandit en Libye
contraignant, avec l’aide des Touaregs, les Italiens a évacuer
le Fezzan en janvier 1915.
Moussa-Ag-Amastane.
« Issu de ce contexte, un nouveau leader de la résistance,
Kaocen, fait son apparition. Parti avec la vague d’émigration
qui quitta l’Aïr après la défaite touarègue
d’Egatregh en 1899, Kaocen ag Kedda de la tribu des Igerzawen
appartient à la puissante confédération des
Ikazkzen de l’Aïr. En quête d’une solution
pour libérer le pays touareg, il manifeste très tôt
ses capacités de fédérateur et de stratège
dans une guerre moderne où il faut inventer des ripostes d’un
nouveau type. Il lui faudra dix sept ans pour atteindre son objectif,
c’est à dire se trouver à la tête d’une
armée équipée et organisée pour la guerre
moderne.
L’insurrection des Touaregs du Gourma et des Iwellemmeden
En décembre 1915, le Gourma, région touarègue
du Sud-Ouest se soulève. A son tour en février 1916,
le chef des Iwellemmeden de l’Ouest, Firhoun, s’enfuit
de la prison de Gao et prend la tête de l’insurrection
ouverte contre l’occupation française qui va rapidement
tourner court. Le désastre militaire d’Andéramboukane,
le 9 mai, est suivi du massacre des Iwellemmeden alors qu’ils
avaient déposé les armes ; Firhoun parvient à s’enfuir,
mais il est tué en juin par des auxiliaires Kel Ahaggar de
l’armée française. La répression de ces
mouvements, menée avec l’aide des Sahariens soumis à l’autorité coloniale,
se prolongera jusqu’à juillet 1916. Les sédentaires
Songhay qui ont aidé les Touaregs en leur fournissant armes,
vivres et renseignements seront eux aussi sévèrement
câtiés et leurs villages rasés.
Dans l’Ajjer également, les attaques s’intensifient
et les français doivent abandonner leur poste militaire de
Djanet en mars 1916. En décembre, le Père de Foucauld,
qui renseignait l’armée coloniale sur les mouvements
touaregs, est assassiné dans l’Ahaggar.
La jonction des résistances de l’extérieur et
de l’intérieur
En décembre 1916, Kaocen entre clandestinement dans l’Aïr
avec ses troupes et rejoint le campement principal des Ikazkazen
dans la vallée d’Amantaden. Il prône l’union
de tous pour chasser les Français non seulement de l’ensemble
du pays touareg mais aussi de ses marges. La majorité des
guerriers présents se rallie à son armée qui,
après une marche d’une nuit, le 13 décembre 1916,
encercle et occupe la ville d’Agadez. De tous le pays touareg
affluent des délégations qui viennent rejoindre les
insurgés. Même Moussa ag Amastane, le chef de l’Ahaggar
sous tutelle française fait une brève apparition. Mais
au cours de ces trois mois de siège, le canon de Kaocen ne
parvient pas à détruire le poste militaire ennemi.
C’est le début d’une longue série d’affrontements
qui avec la mobilisation de toutes les forces françaises et
de leurs alliés, aboutit aux replis successifs des combattants
hors d’Agadez en juillet 1917, puis de l’Aïr en
mars 1918. Chaque bataille perdue entraine son contingent de démissions
et de soumissions, tandis que le camp des irréductibles poursuivra
la résistance hors de l’Aïr.
Le retour au
désert
Pour les Touaregs acculés par les colonnes françaises,
trois solutions se profilent : la soumission, le combat jusqu’à l’extinction
ou l’exil qui donnera la possibilité de reconstruire
une nouvelle base. Kaocen choisit l’exil, emmenant avec lui « tout
enfant de six ou sept ans dont le père est au combat » afin
d’assurer la relève future. Alors, par l’unique
faille qui reste : le désert en plein cœur de l’été,
commence une échappée que l’adversaire n’avait
pas prévue.
Pour reconstituer ses forces, Kaocen est à la recherche d’alliés.
Mais son association avec des partis rivaux lui sera fatale. Parti
récupérer des armes cachées par la Senoussiya,
il tombe le 5 janvier 1919, dans un guet-apens tendus par ses alliés
turcs qui le pendent. Après avoir supporté un siège
de trois mois à Zawilah, les combattants touaregs se replient à Gatroun
pour une ultime bataille. Les guerriers sont décimés
et la résistance touarègue vaincue. Il est convenu
que les enfants, les vieillards, les blessés, accompagnés
de quelques guerriers valides pour les protéger , partent
faire leur soumission. Après avoir parcouru à pied
près de sept cents kilomètres, ils arrivent à Bilma
où les autorités les envoient à Zinder. Ils
devront encore marcher pendant plus de mille kilomètres. Quant-aux
autres guerriers sous la conduiote de Tagama, le chef-arbitre de
l’Aïr, ils préfèrent mener la résistance
jusqu’à la fin. Tagama est capturé un peu plus
tard par les Français, emprisonné à Agadez et
tué dans sa cellule. Certains de ses compagnons s’exilent à tout
jamais pour ne pas revenir vaincus aux tentes.
Ainsi s’achève l’épopée de Kaocen.
Avec elle s’estompe l’utopie politique qui l’animait :
un projet nouveau de société opposant à la hiérarchie
et aux rôles différents et complémentaires des
catégories sociales, l’égalité et la responsabilité des
individus.
La répression contre la guerre de Kaocen a été particulièrement
sévère. Le bilan est lourd à la fois sur le
plan humain, économique et politique.
De l’Ajjer jusqu’à la Tademekkat, en passant par
l’Aïr qui a perdu la moitié de ses habitants, le
pays a été décimé et mis à sac,
l’économie d’élevage et d’échanges
caravaniers est ruiné, beaucoup de tribus ont été déportées à proximité des
villes dans des zones sous surveillance. Avec la création
des goums *, les troupes militaires mobiles montées à dos
de chameau et recrutées localement, les autorités se
dotent d’un nouvel instrument de coercition.
Ainsi débutent les « années de soumissions », époque
morose caractérisée par l’implantation généralisée
de l’administration coloniale à laquelle correspond
l’effritement politique du monde touareg.
* Goum : contingent militaire fourni par une tribu.

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