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Culture / Histoire / Société

«Agadez enregistre plus de 1200 cas de piqûres de scorpion par an»

Aussi connu de l’opinion que l’historique de la mosquée d’Agadez, le tristement célèbre scorpion au venin mortel continue à faire des milliers de morts dans la région d’Agadez. Avec plus de 1.200 piqûres par an, ce sont des milliers de familles vivant dans la région qui sont quotidiennement endeuillées sans que les autorités ne songent à prendre sérieusement le problème à bras-le-corps. Dans cette localité, pendant que les uns croient que l’insecte meurtrier tire la puissance de son venin du natron ou du sel dont le milieu naturel regorge, les autres plus superstitieux sinon plus traumatisés pensent que ce phénomène, avec son cortège de morts, relève de la sorcellerie. De l’avis de ces derniers, les hommes mal intentionnés se transformeraient en scorpions pour réduire au silence à jamais leurs adversaires ou ennemis… Vrai ou faux, cela traduit le signe d’un traumatisme au niveau de la population. Le docteur Hassane Attamo, chef de l’unité de chirurgie de l’hôpital d’Agadez explique…

Q. : Dans la commune d’Agadez le scorpionnisme (une mort subite après une piqûre de scorpion) est un inquiétant problème de santé publique. Pouvez-vous nous donner une idée de l’ampleur de ce fléau?

R. : Dans la commune d’Agadez, le scorpionnisme est à la base de plusieurs dizaines de décès. Chaque année, nous enregistrons des décès dus aux piqûres de scorpions tant au niveau des enfants que des adultes. Malheureusement, nous n’avons aucun moyen pour faire face à la situation.

Au niveau des adultes, en médecine, on a enregistré jusqu’à 18% de cas de décès dus aux piqûres de scorpion. Au niveau de la pédiatrie, le taux de décès fluctue entre 22% et 32% selon les années. Sur 100 enfants piqués par des scorpions, vous pouvez avoir jusqu’à 30 qui meurent. L’hôpital d’Agadez enregistre 1200 piqûres de scorpion par an. Cette situation est une catastrophe, au vu des circonstances des décès : l’enfant est là en train de jouer et subitement vous l’entendez crier par suite d’une piqûre de scorpion. Une heure de temps après, il décède sous vos yeux impuissant, dans une affreuse convulsion, d’hyperthermie, de délire et d’agitation. C’est vraiment dramatique. Il existe huit (8) types de scorpions jaunes, huit (8) types de scorpions noirs, deux (2) types de scorpions bruns et vingt six (26) types non identifiés. Notre typologie faite à partir d’une étude initiée entre avril et septembre 1999 a pu démontrer que les scorpions non identifiés sont les plus nombreux (59,09%). Ce qui fait croire à la population qu’il s’agit plutôt d’actes de sorcellerie.

Q. : Qu’est-ce qui explique l’impuissance de la médecine face au venin des scorpions d’Agadez ?

R. : C’est un venin très mortel que nous ne maîtrisons pas. A la date d’aujourd’hui, scientifiquement, personne ne s’est intéressé exclusivement et sérieusement à ce venin. Ni l’Etat, ni les ONG. Or, cela vaut la peine, au vu du massacre auquel on assiste dans l’impuissance. Rien ne vaut la vie humaine. Ce sont des centaines de Nigériens qui meurent par an. Cette question doit attirer plus que toute autre, l’attention du pouvoir public. Ailleurs, il y a des sérum anti-scorpionniques qui sont fabriqués par l’institut Pasteur ou par l’institut Merieux pour faire face efficacement à des venins. Malheureusement, à Agadez, nous n’avons même pas ces genres de sérums qui existent déjà pour les tester afin de savoir s’ils sont réellement actifs contre le venin des scorpions de cette région ou pas. Pour toutes ripostes, nous faisons un traitement symptomatique selon le cas. C’est pénible et cela se termine assez souvent par le décès du patient.Cette prolifération des scorpions n’est-elle pas due au manque d’hygiène ?
Cette prolifération des scorpions qui favorise le scorpionnisme est due à plusieurs facteurs dont le manque d’hygiène. Il y a au nombre de ces facteurs la misère des populations qui, dans leur majorité, vivent dans des maisons construites il y a plusieurs siècles -ne soyez pas étonnés à Agadez il en existe- et qu’ils ne peuvent plus entretenir correctement par manque de moyens. Il y a aussi la promiscuité, la concentration des maisons sans ouverture avec des cloisonnements qui ne permettent pas les conditions normales de salubrité publique. Pour qui connaît Agadez, la vieille ville ne remplit aucune condition de lotissement. Plusieurs puits perdus et des endroits où les saletés s’entassent beaucoup. Il n’y a pas assez d’air de jeu si bien que les enfants jouent dans les arrière-cours, dans des encoignures infestés par des scorpions près à darder quiconque s’approche de leur nid.

Le manque d’électricité est aussi un autre facteur. Souvent, c’est dans l’obscurité que les enfants jouent et se font piquer. L’électrification est très insuffisante à Agadez. Même les lampadaires qui sont sur les voies principales ne sont allumés qu’à de grandes occasions, une fois l’an, comme ce fut le cas à l’arrivée du Guide de la révolution libyenne à Agadez. Aussi, il faut reconnaître que si les scorpions abondent dans la région d’Agadez, c’est parce que le milieu lui est favorable. Dans cet espace, plusieurs espèces de scorpions, les uns plus venimeux que les autres, coexistent. Les conditions naturelles leur sont favorables, autrement, ils auraient tous disparu depuis longtemps de la région. Les piqûres de scorpion sont enregistrées même dans les quartiers administratifs à urbanisation moderne. Les scorpions touchent à toutes les couches sociales. Tout le monde est concerné par le scorpionnisme. Il s’agit d’un problème qui requiert l’attention du pouvoir public. Les décès par dizaines, chaque année, peuvent être évités si on se mobilise.

Q. : Comment pourrait-on éradiquer ce fléau dans la région d’Agadez ?

R. : Il y a plusieurs méthodes d’éradication de ce fléau. Pour l’instant nous souhaiterions disposer de quelques sérums déjà existants, afin de les tester ici pour voir d’abord leur efficacité. Cela pourrait nous éviter de réinventer la roue. Dans le cas où ces sérums ne seront pas efficaces, il va falloir prélever le venin sur des scorpions d’Agadez et procéder ainsi à une étude toxicologique dans des laboratoires performants. Cela permettra d’élaborer un sérum spécifiquement destiné à réduire le venin du scorpion d’Agadez. Il faut également, dans la lutte contre le scorpionnisme, envisager la diminution de la population des scorpions dans la région. Nous enregistrons plus de 1.200 cas de piqûres par an. Or, une piqûre c’est trop. Il faudrait mener une lutte chimique qui réduirait ou détruirait complètement cette population qui fait des ravages dans nos rangs chaque année. Il faut initier une campagne de salubrité. Le cas des enfants est très préoccupant. Il y a 11,36% d’enfants de 0 à 1 an qui sont piqués chaque année. Les enfants de la tranche d’âge de 5 à 15 ans sont concernés par le problème jusqu’à hauteur de 50%. Par conséquent, l’aménagement d’une salle de soins intensifs en pédiatrie est impérative. Il va falloir revoir la climatisation au niveau de la pédiatrie, parce que les enfants piqués connaissent une hyperthermie qu’un climatiseur pourrait alléger. Malgré les efforts déployés par le service de santé, le scorpionnisme demeure un problème majeur auquel il faut trouver des solutions radicales et rapides.

Propos recueillis par
Cissé Souleymane Mahamane
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