"Nos religions
traditionnelles véhiculaient des valeurs très fortes..."
M. Boubé Gado, historien, archéologue, directeur de l’Institut
de Recherches en Sciences Humaines (IRSH), Université Abdou
Moumouni Avec la collaboration de l'Institut PANOS Afrique de l'Ouest
Question : Il existe aujourd’hui encore des pan-théons
anciens dans certaines de nos régions. Parmi ceux-ci le panthéon
zarma-songhay, celui de certaines zones haoussa… Que faut-il
entendre par là ?
Réponse : Les religions traditionnelles qui ont laissé,
de plus en plus, la place à l’islam , avaient effectivement
des panthéons très riches et très struc-turés.
On peut prendre le cas du panthéon songhay-zarma, que j’appellerai
tout simplement songhay. Il y a d’autres panthéons que
l’on trouve dans certaines zones haoussa ou gourmantché qui
peuvent avoir des recoupements avec le panthéon songhay et il
faut se rappeler ici que Taguimba qui était une incantatrice
des bori de l’Aréwa avait dans son répertoire des
morceaux sur l’ensemble des tôrou songhay notamment Harakoy,
Kirey, Moussa, Haoussakoy et Dongo.
Pour revenir à la cosmogonie traditionnelle songhay, elle semble être
la plus structurée des systèmes connus et c’est
celle qui semble être restée la plus intacte parce que
justement elle intègre parfaitement le domaine des mythes, de
la religion et de l’histoire ou plus exactement de l’anthropologie
historique dans le sens des migrations et des contacts anciens entre
les peuples.
Dans d’autres traditions anciennes et ceci dans beaucoup de nos
régions, dès que vous posez la question des origines
aux gens, ils vous répondent ou bien qu’ils viennent de
la Mecque du temps de la Révélation ou bien tout simplement
que leurs ancêtres étaient des Arabes. Evidemment l’islamisation
a fait que les seules valeurs qui tiennent sont celles liées à l’islam
et au monde arabo-musulman , sans penser un seul instant que la plupart
des valeurs morales et sociales existaient et parfois avec plus d’exigence
dans beaucoup de sociétés africaines et nigériennes
avant l’expansion musulmane au point que certains chercheurs émettent
l’idée que certaines sociétés de l’espace
ni-gérien étaient déjà musulmanes dans
les faits et sans seulement le rite ou prêtes a recevoir le message
divin au moment de la pénétration de l’islam.
Et l’on peut bien comprendre, le prosélytisme aidant,
que dans l’approche culturelle on ait confondu l’islam
et l’arabisation en tant que telle, si bien que le bon musulman
ne peut venir que de la Mecque et que dans beaucoup de nos traditions
historiques l’on fasse venir les gens de la Mecque, des environs
de la Mecque ,ou l’on les fasse descendre de certains prophè-tes,
l’on en fasse des compagnons du Prophète Muhammad lui-même.
Ce qu’il y a de particulier avec la cosmogonie songhay, c’est
qu’elle semble se rattacher à des pério-des anciennes
avec lesquelles elle semble avoir gardé des liens plus ou moins
intacts, car les ancêtres des génies primordiaux que sont
Hassa et Hini et qui don-nèrent naissance à Sountân
et Mantân, disent venir de Misr et des localités de Fonte
et de Houroumkouma. Cette mythologie religieuse affirme ses liens avec
la vallée du Nil et probablement l’Egypte ancienne et
ne semble pas faire référence à l’islam
quant à ses origines.
Quand les ancêtres des tôrou arrivent dans l’espace
nigérien , cela se passe dans la forêt de Garyel dans
le Zarmaganda actuel où ils trouvent sur place les gandjibi,
des génies noirs autochtones qui , après une période
conflictuelle, sont acculés au fleuve et rejetés sur
la rive droite du fleuve, donnant ainsi l’ac-cès à la
vallée du même fleuve aux nouveaux arrivants. Et c’est
sur le fleuve, qu’après bien des péripé-ties,
les génies ancestraux vont lier alliance avec les hommes notamment
les Do et les Sorko et les maîtres du pouvoir établi par
la suite que furent les Zâ et les Sonni ou Sohantché.
La cosmogonie songhay est pleine d’enseignements car, outre cette
référence à la vallée du Nil qui mériterait
peut-être d’être approfondie, outre les peuples de
génies noirs ou gandjibi trouvés au Zarmanganda et repoussés
sur la rive droite du fleuve et dans l’énumération
desquels on trouve des ethnonymes évocateurs comme Mossi ou
Kouroumou ou Peul, outre l’alliance des tôrou avec les
Sorko et les Do qui explique les origines du rituel, outre la spéciali-sation
de certains nouveaux arrivants en génies blancs ou gandjikwarey
plus ou moins nomades , remontant plus au nord et certains devenant
musulmans, outre la prééminence sur le fleuve de l’ancêtre
des tôrou Dandou Ourfama dont le culte semble avoir prévalu
jusqu’à la chute des Sonni et l’avènement
de l’Askia Mohammed quand Dandou Ourfama fut chassé de
son autel par l’invocation de la sourate yâ’sin (
confert les traditions de Téra et les Tarikhs de Tombouctou),
outre le nom évocateur du fils de Dandou Ourfama , appelé Zâ le
Grand, ou Zâbéri et qui donna naissance au génie
le plus important et le plus central des divinités songhay ancestrales
que fut la mère génitrice et unificatrice des peuples
des génies, nommée Harakoy Dicko , cette cosmogonie nous
dresse une carte ethno-anthropologique de la vallée moyenne
du fleuve Niger , on dirait comme par ajouts successifs des migrations
et des contacts des divinités parées d’ethnonymes
spatio-temporels évocateurs.
D’une dynastie des Zâ aux origines anciennes du petit Royaume
de Koukiya dont le nom est évoqué par le nom du fils
de Dandou Ourfama, Zâbéri, à une dynastie au comportement
plus ou moins animiste, plus ou moins ibadite ou kharéjite comme
celle des Sonni qui fut la fondatrice de l’Empire Songhay et à une
dynastie qui affiche clairement et de façon ostentatoire son
sunnisme malékite comme celle des Askia qui fit l’âge
d’or de l’Empire Songhay, la fresque des divinités
semble couvrir et animer l’histoire vivante des hommes.
Du point de vue spatio-temporel , si la première aventure des
divinités semble avoir eu pour cadre l’espace qui va du
Zarmaganda à la rive droite du fleuve avec l’évocation
d’ethnonymes comme Songhay, Kouroumou et Mossi notamment, l’aventure
de Dandou Ourfama ,elle, semble se situer plus tard et plus en amont
où, parmi sa nombreuse progéniture , son fils Zâbéri
fut la personnalité la plus forte car non seulement Zâbéri
donne son nom à une dynastie des hommes mais il établit
dans le ciel la primauté de sa descendance car lui, sa fille
Harakoy Dicko dont la mère Al’hawa est Peule et les cinq
enfants de Harakoy Dicko que sont Kirey dont le père Alkaydou
Garamaki est Songhay ou Kouroumou, Mahama Sourgou dont le père
Hamal Alkaydou est Touareg, Moussa Gnaouri dont le père Yamba
est Gourmantché, Manda Haoussakoy dont le père est Haoussa
et Farambarou Kwada dont le père Mossoro est Touareg , enfin
le fils adoptif Dongo dont le père Fombo est Bariba, constitueront
les sept divinités primordiales ou tôrou du panthéon
songhay dont les faits d’éclat et les tribulations avec
les génies du fleuve de Zînkibarou, les génies
des morts de Zirbin Sangaymoyo et l’alliance avec les Dô et
les Sorko de Farammaka Boté semblent se dérouler entre
le Dargol et la Mékrou, même s’il pourrait s’agir
d’un transfert de traditions dans l’espace comme dans
le temps.
Les géniteurs des tôrou font appel à huit (8) ethnonymes
qui sont Songhay, Kouroumou ou Koroumba, Fulan ou Peul, Sourgou ou
Touareg, Haoussa, Gourmantché, Bariba, Bella , qui, s’ils
sont ajoutés aux ethnonymes Mossi des gandjibi et Sorko et Dô des
hommes de l’alliance originelle, forment les noms de onze (11
) groupes ou sous-groupes de divini-tés ou d’hommes bien
spécifiés, sans compter les divinités sans ethnonymes
que sont les Génies des Morts, les Génies du Fleuve et
les Génies froids ou Harguey.
La composition pluriethnique des divinités du pan-théon
songhay est très importante et nous éclaire d’un
jour nouveau. Voilà que des divinités se conçoivent
pluriethniques ou supra-ethniques face à un groupe ethnique
comme pour rappeler à ce groupe sa pluriethnicité. Car
si les divinités elles-mêmes sont de composition pluriethnique
, qu’en est-il alors des hommes qui prient pour ces divinités-là ?
La leçon de cette ogdoade ( en y incluant Dadou Ourfama, « toorey
kulu baba », ou « Père de tous les tôrou » )
, se situe à plusieurs niveaux : 1°/ la pluri-ethnicité est
de mise même chez les divinités, ce qui leur donne une
certaine universalité locale et régionale supra-ethnique, à plus
forte raison chez les hommes ,
2°/ cette pluri-ethnicité des divinités s’appuie
sur les ethnonymes locaux du même espace, elle ne passe pas
par quatre chemins,
3°/ cette pluri-ethnicité des divinités semble pro-céder
par ajouts spatio-temporels qui sont comme des marqueurs dans le temps
et des jalons d’unification de nouveaux groupes à des
groupes anciens avec une tolérance et un accueil bienveillant à chaque
fois,
4°/ le leitmotiv ou le mot d’ordre des divinités semble être
l’union et l’intégration où chacun a sa place,
son occupation et sa complémentarité avec les autres.
N’est-ce pas une belle leçon de l’Etat de droit
et de démocratie participative que donne là le Panthéon
songhay dans un monde et dans une Afrique où la recherche de
l’identité se conjugue avec l’irrédentisme
le plus radical, où le peuple a bon dos face aux rapaci-tés
individuelles, où l’ethnocentrisme ou le régiona-lisme
devient l’arme favorite de tant de gens que l’on peut prendre
comme des bien-pensants, où même la parole de Dieu est
usurpée par des hommes qui tuent au hasard tant d’innocents
pour exprimer leur hargne contre les puissants et les nantis !
Il y a eu dans l’espace nigérien d’autres cosmogonies
et d’autres systèmes religieux anciens mais il me semble
que le panthéon songhay est celui qui offre le plus de lisibilité et
qui constitue un exemple de socialisation des peuples depuis les origines
mythiques et religieuses jusqu’à des évènements
récents comme l’occupation coloniale. Si l’irruption
des génies Haouka dans le panthéon songhay avec toute
sa hiérarchie militaire et administrative coloniales est une
remise à jour du mythe et de la religion ou un ajout d’un
pan de mythe, somme toute, récent par rapport au support ancien,
son comportement spatio-temporel nous donne ou nous montre la chaîne
opératoire d’un processus d’intégration qui
n’a rien à voir à prime abord avec l’éthnisation
car la région de Chikal où Chibbo et ses compagnons ont été « les
premiers chevaux des Haouka » se trouve à l’intérieur
d’un autre système de comportement intégrateur
similaire mais bien spéci-fié, avec des « dogouwa
noires, des dogouwa peules , des dogouwa blanches, des mallam el-haji
etc… », même si l’on trouve dans l’Aréwa
et le Kourfey des «chevaux» de certains tôrou. C’est
donc un espace culturel plus vaste qui est pris en compte ici comme
dans beaucoup de formations socio-politiques anciennes où le
caractère supra-ethnique est un facteur important ou même
primordial dans la conception ancienne d’un grand Etat.
C’est quand même fantastique ! De temps en temps quand
un Songhay me taquine trop, je lui dis « Ecoute, toi tu n’existe
pas si les autres ethnies n’existent pas. Tu es tout le monde
. Mêmes les divinités anciennes se disent la composante
de plus de onze (11) groupes portant des ethnonymes. Alors , toi en
tant qu’être humain et en temps qu’individu, dont
les origines sont liées à près de quatorze groupes
ethniques, comment peux-tu faire la différence entre toi et
les autres ?C’est impossible !Tu as donc intérêt à bien
te comporter moralement et socialement ! »
Les religions traditionnelles, par delà les rites qui ont fait
peut-être leur temps, véhiculaient effectivement des valeurs
morales et sociales très fortes, au point, j’en suis convaincu,
que si les générations du passé pouvaient faire
un tour dans le présent, elles seraient consternées à leurs
yeux par notre immora-lité, notre inconséquence et notre égoïsme,
même si nous pensons, pour nous donner bonne conscience, être
meilleurs et que logiquement notre conscience nous gronde que nous
devrions l’être.
Dans le passé, la plupart des panthéons semblent être
des condensés de géographie humaine, de formation et
de socialisation des groupes au niveau des divinités comme au
niveau des hommes. Ils détermi-nent les rapports entre groupes
humains en les mettant face à leurs responsabilités.
Par exemple dans la cosmogonie et la religion songhay traditionnelles,
si vous dites que vous êtes Haoussa, du fait même qu’il
y ait une divinité Tôrou, Manda Haousakoy , vous êtes
intégré rapidement à la communauté, car
vous n’êtes pas un étranger dans l’inconscient
collectif. De même si vous êtes Gourmantché, Bargou
ou Bariba, Touareg, Peul, Koroumba, le problème ne se posait
même pas. Mais aujourd’hui, on a abandonné ces religions
et leurs rituels, ce qui est tout à fait normal avec le changement
de religion, mais aussi hélas ! trois fois hélas, on
a jeté aussi en même temps toutes les valeurs morales
et sociales qui les sous-tendaient, même si le plus souvent et
presque toutes, on les retrouve dans l’Islam sincèrement
pratiqué.
Il est vrai que l’on a accusé aujourd’hui un retard économique
mais plus grave encore est le relâche-ment de nos valeurs morales
et sociales que nous attribuons allègrement à notre appauvrissement
géné-ral sans voir que nous ne suivons nullement les
valeurs pourtant claires de la religion musulmane qui ne sont que le
prolongement des valeurs humaines anciennes, tant il est vrai que Allah
est si patient, alors que Dongo et Dogouwa qui étaient des produits
des cultures ancestrales anciennes, étaient des divinités
coercitives dont l’effet est immédiat, nous sommes-nous
sincèrement convertis ou avons-nous eu peur simplement de nos
ancêtres ?
Car, encore une fois, il ne s’agit nullement de remettre à l’honneur
les cultes traditionnels anciens mais d’en capitaliser des valeurs
qui nous font aujourd’hui cruellement défaut comme le
respect de la parole donnée, le respect de son prochain, la
reconnaissance de sa dignité et de son honneur etc…, bref
toutes ces valeurs élémentaires qui sont le gage d’une
société de tolérance, de paix et de progrès.
Finalement je pense q’une partie de nos problèmes socio-politiques
et culturels actuels sont dus au fait que nous accordons aujourd’hui
si peu d’importance à nos cultures et à l’histoire
de nos sociétés pour en extraire les valeurs positives
qu’elles véhiculaient. Et peut-être que Dieu nous
pardonnera-t-il notre attachement physique au message divin et nôtre
imperméabilité aux valeurs morales et sociales que l’Islam
sous-tend, car la révélation divine a pour but essentiel
d’améliorer l’homme.
Dans les traditions ancestrales il y a un arrière fond culturel
que nous avons perdu. Toutes les ethnies et les groupes sociaux se
trouvant représentées au niveau des panthéons,
tout problème ethnique est, à l’avance, résolu
car tout le monde est égal à tout le monde et si l’on
n’a pas le même père, on a en principe la même
mère Harakoy Dicko ou Inna. Or dans toutes nos langues quand
on dit « Dan-Ouwa » ou « Gnaïzé » c’est
la parenté par excellence par rapport à « Dan-Ouba » ou « Babiizé » qui
sont des concurrents potentiels. C’est pourquoi dans la cosmogonie
Songhay nous sommes tous des « Yan-Ouwa » ou des « Gnaîzés »,
enfants de Harakoy Dicko.
On devrait faire la collecte et la transcription de toutes ces leçons
de notre passé ancien afin d’en tirer la substance positive
sur le plan moral, social, politique et culturel, au lieu de considérer
dans la pratique nous n’avons pas eu dans le passé de
valeurs intrinsè-ques. Ce serait à mon avis très
intéressant pour le Niger d’aujourd’hui. Nos religions
traditionnelles avaient donc non seulement des valeurs très
fortes mais elles avaient placé aussi des garde-fous aux dérapages
sociaux, parce que ses garde-fous se situaient au niveau des divinités.
Aujourd’hui malheureusement nous avons une fra-gilité culturelle
très prononcée qui fait que l’on jette cavalièrement
tout ce qu’on a dès qu’il y a du nouveau : on jette
l’eau du bain en même temps que le bébé et
nous voulons dans tous les domaines des générations spontanées,
sans histoire et sans inconscient collectif.
Est-ce qu’à l’époque ancienne un ressortissant
d ‘un autre groupe ethnique osait insulter un Haoussa alors que
le soir il allait au « Holley hori » prier Manda Haoussakoy
de lui faire ceci ou cela ? De même pour le Bariba ou Bargou
pour le Gourmantché, pour le Peul, le Touareg et évidemment
le Songhay.
Q : On parle aussi d’une structuration sociale au sein de ce
panthéon. De quoi s’agit-il ?
R : Voilà une question qui vient approfondir l’essai d’analyse
que nous avons tenté de faire quant aux valeurs véhiculées
par les systèmes des panthéons traditionnels. En effet
considérons les cinq (5) enfants de Harakoy Dicko. Kirey, l’aîné,
dont le père est Songhay, est celui qui possède le savoir,
c’est le savant du groupe, c’est le grand frère
et dans nos traditions , c’est le grand frère qui devient
le chef de famille après la mort du père. Le deuxième
fils, c’est Mahama Sourgou, le Touareg, est un pasteur, un
nomade.
Moussa Gnaouri, c’est le Gourmantché, le chasseur et le
combattant émérite : lorsque sa mère fut rejetée
du fleuve par les Zîn du fleuve, c’est lui qui est venu
battre ces derniers et rétablir la primauté de Harakoy
Dicko sur le fleuve, si bien que sa mère, émue et reconnaissante,
lui dédia une chanson de geste pour sa bravoure. Moussa Gnaouri
est donc un chasseur avec tout ce que cela suppose de puissance et
de pouvoirs profanes et magiques.
Manda Haoussakoy, lui , c’est le mangeur de fer, le zamkiriya
, le forgeron métallurgiste, qui a, non seulement le secret
de la technique de la réduction du fer , mais aussi celui de
fabrication des armes adéqua-tes qui conviennent à ses
frères. Encore aujourd’hui les descendants des métallurgistes
zamkiriya, même s’ils ne sont pas aimés, sont de
toute façon toujours craints dans la société des
hommes.
Dongo, le fils coopté, est lui un Bargou très fort et
très craint : c’est le pourfendeur et le justicier. Dans
la société des hommes , nous savons qu’aucun roi,
qu’aucun empereur songhay n’a pu investir le Borgou.Quant à Farambarou
Kwada, elle ou lui, on ne saurait dire si c’est une fille ou
un garçon et son côté trouble la rattache à sa
mère dont c’est l’enfant cadet chéri.
Il y a donc effectivement une certaine catégori-sation socio-professionnelle
parmi les tôrou, enfants de Harakoy Dicko. Mais encore une fois,
cela se passe au niveau du panthéon où tous les tôrou
sont des parents par excellence, c’est à dire des « gnaïzés ».
Il n’y a pas de système de castes parmi les tôrou
et dans le zammou des tôrou récité pendant la cérémonie
du yenendi, chaque tôrou a droit à ses louanges spéci-fiques
dans la généalogie générale des tôrou
depuis Misr, Fonte et Houroumkouma, depuis Hassa et Hini , depuis Sountân
et Mantân, depuis Dandou Ourfama, « tôrey kulu baba »,
jusqu’à Zâbéri et Harakoy Dicko dont la descendance
complète le groupe des tôrou. Et tous les tôrou
doivent être présents pour que le yenendi se déroule
bien.
Là le panthéon donne, encore une fois, la leçon à la
société des hommes.
Si nous prenons un autre exemple avec le pan-théon des Anna
de la région de Maradi nous avons là aussi une composante
de divinités avec des occupations précises où Ouwal’Gona
et Magajial Jangaré sont deux déesses sœurs qui épousent
respectivement Sofo et Gayya Rako et donnent naissance à Matal
Machi, Massassaou, Macharouwa, Nana Aïcha, Kouré , Dogouwa
Baka et Dogouwa Fara d’un côté, Dan Galadima, Sarkin
Rafi, Sarkin Makada, Aouta et Badossa de l’autre côté.
C’est donc un imbroglio pluri-ethnique même si les ethnonymes
ne sont pas spéci-fiés et surtout un imbroglio de catégories
socio-professionnelles où le prince et son griot sont frères,
ou Kouré le métallurgiste et le boucher Haoussa est frère
des Dogouwa Baka et Dogouwa Fara Peules.
Tous ces panthéons, par delà les rites et les rituels
qui peuvent paraître désuets et surannés, sont
porteurs de messages forts à la modernité d’aujourd’hui, à la
reconnaissance de la personne et de la dignité humaine, à l’Etat
de droit et à la démocratie participative d’aujourd’hui.
Toutes ces valeurs fortes que nous croyons découvrir aujourd’hui
avec un engouement fébrile et dans lesquelles la fraternité,
l’égalité et la complémentarité socio-professionnelle
transcendent le clivage ethnique, local et même régional
et toute tentative d’instauration d’échelle de valeur
socio-professionnelle, sont présentes, et avec quelle insistance,
dans notre substratum culturel ancien. Peut-être que nos systèmes
socio-politiques anciens n’ont pas toujours eu aussi la stabilité nécessaire
pour concrétiser au niveau de la société des hommes
, la leçon de sagesse politique des panthéons anciens.
Q : Quel avenir pour ces panthéons dans le Niger d’aujourd’hui
?
R : La question primordiale n’est pas tant la sauvegarde de religions,
de cultes, rites et rituels anciens, désuets ou surannés,
mais la collecte, la recherche, la diffusion appropriée à travers
des thèmes littéraires, philosophiques et artistiques
et la capitalisation des messages véhiculés par nos cultures
anciennes et qui contiennent, nous l’avons vu, des trésors
de sagesse et de méditations, qui nous permettront d’appréhender,
sans complexe, et de puiser en nous-mêmes , les ressources psychologiques
et culturelles nécessaires à la résolution de
nos problèmes d’aujourd’hui et de nos problèmes
de demain. Mais ne nous voilons pas la face : beaucoup d’aspects
des cultes traditionnels anciens demeurent encore vivaces car la culture
que le peuple a sécrétée et qui a fini par se
situer au niveau de l’inconscient collectif, ne vole pas en éclats
ici et maintenant.
Interview réalisée par
Gorel Harouna - 10 sept 2003
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